Covid-19 : les artistes refusent d’abdiquer !
Confinés dans leurs ateliers et leurs domiciles, ils envisagent le jour d’après. Avec appréhension, angoisse et questionnements.
En ce samedi de Pâques, le laboratoire de théâtre Othni de Yaoundé est ouvert. Depuis un mois, les afficionados du lieu n’ont plus beaucoup leurs habitudes ici. Le coin est donc plutôt calme. Excepté ce petit bruit qui vient du bar situé à l’entrée à droite. A l’intérieur, surprise. C’est Martin Ambara, le promoteur de l’espace lui-même, qui est au charbon. «Je suis en train de préparer la commande des boissons», lâche-t-il tout en continuant de remplir les emballages vides posés à l’entrée du bar. Il fait des va-et-vient au comptoir, recherche des bouteilles vides, ouvre le frigo pour s’assurer de ce qui manque, visite les casiers du petit magasin à côté du comptoir ainsi que la main courante de la tenancière. Avec application et concentration. Un «vrai casse-tête» pour celui qui n’en a pas l’habitude.
Cette conjoncture matinale, Ambara se l’est imposée un peu malgré lui. Il faut dire que depuis le début de la triste pandémie, il n’y a pas que les visiteurs qui manquent à l’appel ici. «J’ai demandé à mes deux fidèles collaborateurs depuis 15 jours de venir chacun un jour par semaine ; de rester bien confinés et de respecter les mesures-barrière prodigués par le gouvernement». En le disant, il nous regarde un peu surpris. L’air de dire que notre masque ne doit pas quitter nos lèvres et nos narines ! Quoi qu’il en soit, l’heure est grave chez lui quand vient l’heure d’évoquer cette pandémie et ce qui lui en coûte. Pour lui en effet, comme pour d’autres, c’est une mauvaise saison qui a commencé le 11 mars quand le Cameroun a déclaré la pandémie et édicté les premières mesures par une communication du Premier ministre Joseph Dion Ngute. Spectacles et autres rendez-vous à l’étranger annulés ; des espaces culturels locaux fermés, comme le sien d’ailleurs. Chez lui point donc angoisse et désespoir, surtout quand il se projette.
Désespoir ? Sanzy Viany, l’une des voix de la chanson camerounaise de l’heure, a été frappée durement par cette conjoncture qui chez elle confine au dramatique. Elle était en phase de préparation de deux concerts de présentation de son nouvel album dans les Instituts Français du Cameroun de Douala et de Yaoundé quand ces espaces ont temporairement fermé boutique. «J’avais déjà investi en argent et en énergie. Sachant que je me suis rendue en France pour presser les CD que je devais mettre à la disposition du public par souci de qualité … Pas évident d’accuser le coup ! Les concerts étaient déjà montés par les musiciens». Un vrai drame pour qui sait qu’elle se produit elle-même et qu’elle ne bénéficie d’aucun soutien institutionnel. Elle a donc reçu comme un choc, à la fois émotionnel et financier, ce Covid-19 que personne n’a vu venir. Ou presque.
Surprise
La comédienne Hermine Yollo n’est pas de ceux que le maudit virus a vraiment surpris et ébranlés. «La pandémie du Covid-19 ne m’a pas prise vraiment de court dans ce sens où, comme presque tout le monde sur ce continent, j’ai vu comment cela a évolué et est passé d’épidémie à pandémie. C’est ensuite que les événements se sont précipités, quand des cas ont été signalés dans le pays. Depuis le départ, j’ai toujours considéré que c’est une maladie qui se prévient et aussi se soigne en cas d’infection. Dès le départ, j’ai refusé le côté alarmiste qui accompagne cet événement sanitaire majeur. Il faut faire attention, respecter les consignes sanitaires et gouvernementales pour se protéger et protéger les autres, mais il faut refuser la peur et la panique. C’est ma position depuis le départ».
Un avantage que d’autres n’ont pas eu la grâce d’avoir. C’est le cas du plasticien Alioum Moussa. «Comme je regarde rarement la télévision, j’avais vaguement une idée de ce que c’était, ce que cela faisait comme dégâts, surtout sur le plan sanitaire, avec des pertes humaines en nombre effrayant. C’est au fur et à mesure que le virus faisait sa progression vers d’autres pays que cela a commencé à me préoccuper. Au départ j’étais plutôt serein». Une sérénité qui l’a depuis quitté. Car il fallait désormais mesurer l’impact que cette pandémie allait causer sur le travail artistique et sa consommation. Pour le musicien Serge Maboma, leader du groupe Macase, «on n’a même pas eu le temps de redouter l’impact parce que celui-ci nous est tombé dessus sans prévenir, avec la même soudaineté que la maladie. L’impact est réel et négatif sur nous. C’est une pandémie qui nous frappe de plein fouet puisqu’on ne produit plus presque rien.»
Produire ? Il ne faut pourtant aux yeux de ses consœurs et confrères ne faire que cela par ces temps de confinement. La conjoncture ne doit pas donner lieu au découragement ou à quelque abdication. Moussa en est convaincu, lui dont le confinement a dopé la créativité comme en atteste sa page Facebook où il ne se passe pas de jour sans qu’il ne poste l’un des tableaux inspirés de et par la conjoncture. Chez lui, cela prend même quelque peu la direction d’une thérapie de l’isolement. Il précise, un brin philosophe : «C’est vrai que depuis l’avènement de ce virus mortel, je suis assez motivé, je suis comme une boule d’énergie brute, qui expulse tout son contenu, tout ce qu’il a dans son for intérieur. D’ailleurs j’y vois un côté très positif puisque ça m’a permis de reprendre mes pinceaux, mes pots de peinture que je n’avais plus touchés depuis un bon moment déjà. J’ai repris goût à la peinture».
Si chez Sanzy le quotidien est fait de prière, de protection tout en restant actif sur les réseaux sociaux, Ambara et Yollo en profitent pour réfléchir sur les défis de notre temps. La comédienne pense en effet que cette période «me permet plutôt d’interroger davantage l’utilité ou l’impact concret de mon métier d’artiste dramatique sur la société. En dehors de l’art pour l’art, comment être réellement utile ? Comment faire et partager de l’art autrement, simplement ?» interrogations circonstancielles peut-être mais qui en disent long sur l’état de sinistrose auquel ont droit les cultureux ces dernières années qui ont vu s’évaporer les subventions, surtout étrangères, qui donnaient lieu à des créations théâtrales d’envergure ainsi qu’à des théâtres d’exposition à portée internationale comme les Rencontres théâtrales internationales du Cameroun (RETIC) disparues des calendriers culturels depuis bientôt dix ans.
Réflexions
Martin Ambara, lui, va plus loin encore. S’il regrette la pression des délais consubstantielle à tout processus créatif dans son domaine, il estime cependant qu’«avec le nombre de morts au fil des jours que nous enregistrons, la conjoncture devient des plus inquiétantes. Tout cela nous amène à plancher sur ce que sera le prochain format de la société européenne une fois la pandémie jugulée. Le virus ne sera pas fini, il sera toujours dans l’air et la configuration d’une salle de théâtre que sera-t-elle ?». Autrement dit, le maudit virus n’aura-t-il pas un impact dans l’expression artistique et la configuration des lieux qui les accueilleront ? Le théâtre vu d’Occident et dont l’ambition est de coloniser les autres imaginaires continuera-t-il à rester ce lieu du silence où comédiens et public semblent être en concurrence permanente et refusent tout dialogue pendant le jeu ? Ambara estime, à ce stade, que «En tant qu’auteur, c’est-à-dire celui-là qui manipule la pensée, c’est intéressant d’écrire sur cet instant ou d’écrire autre chose mais influencée par la conjoncture. Cela crée des vecteurs de réflexion philosophique».
Une réflexion que n’envisagent pas encore d’autres, marqués par une conjoncture qui semble partie pour durer, voire s’éterniser. Maboma martèle qu’il faut «si l’on veut être efficace, prendre son mal en patience et commencer à se préparer pour le jour d’après pour pouvoir proposer des projets plus intéressants. Car il y aura alors une multiplication de sollicitations auxquelles ne pourront répondre que ceux qui y auront pensé en amont. Dans l’espace, il va falloir donc faire preuve d’imagination. Notre stratégie est donc celle de nous préparer pour le jour d’après». Yollo estime pour sa part qu’«il faut prendre de nouvelles directions, notamment sur le plan de l’appui et des subventions aux arts et à la culture. Je ne prétends pas savoir comment, mais c’est mon sentiment et c’est une réflexion qui doit être menée par toutes les parties prenantes du secteur culturel, pour qu’ensuite des actions concrètes soient menées. Il est plus que temps que les actions efficaces prennent le pas sur les paroles».
Mais avant le jour d’après, il y a que le monde ne sera plus comme avant la pandémie selon Moussa. Pour lui, cette crise va bousculer les habitudes et changer beaucoup de choses, «Pas seulement en tant qu’artiste, mais tout simplement en tant qu’humain, cela va forcément changer mon rapport au monde, mon rapport à la science, à la technologie, et aux autres vivants. Pour plusieurs raisons : parce-que l’apparition de ce virus vient bouleverser tout sans exception. Ce virus va remettre les pendules à l’heure. Pour une fois, le monde des humains est sommé de s’arrêter. La nature respire et reprend ses droits».
Pour être prêt le jour d’après, Maboma en appelle au sens de la solidarité de ses pairs, sans toutefois se faire d’illusion : «A ce jour, les artistes n’ont pas su ou pas pu se mettre ensemble sur un projet collectif. Et les rares regroupements qui ont vu le jour ont intérêt à perdurer ! Je suis de ceux qui pensent qu’il faut se fédérer pour prospérer ; j’ai toujours fonctionné dans une notion de communauté car de quelque façon qu’il s’y prenne, un homme seul est perdu d’avance. Cela fait des années que j’essaie de passer ce message de solidarité entre les artistes. Aujourd’hui plus qu’hier, on a besoin d’être solidaire. Seuls ceux qui vont travailler ensemble vont pouvoir proposer quelque chose, mais si ce n’est pas le cas, on ne va pas refaire l’esprit des Camerounais. Les loups ne deviendront pas soudainement des agneaux !»
Ambara pense pour sa part qu’un recours aux pratiques anciennes du théâtre est nécessaire. «Moi j’aime à revenir sur notre façon à nous dans les villages de nous retrouver, de communiquer. Peut-être que cette conjoncture nous repousse à ce recommencement-là. Quand des habitants d’un village se retrouvaient dans une cours lors d’un événement, il y avait des moments où l’on pouvait avoir de recul, de respiration car la foule n’était jamais immobile. Peut-être le moment est venu d’interroger ce qui a amené les gens à se cloîtrer dans un bâtiment qu’on va appeler le théâtre. Le théâtre doit pourtant rejoindre la vie», analyse-t-il. Sanzy pour sa part a commencé la rédaction d’un ouvrage sur sa vie de veuve et envisage de compléter sa palette artistique en y incorporant la fonction de motivatrice, surtout en direction des plus jeunes. Avec près de 15 ans de carrière, le moment semble être venu aussi de partager son expérience. Pour y être cependant, la parenthèse du Covid-19 doit se refermer. Impérativement !
Parfait Tabapsi
Journaliste - Directeur de publication du mensuel Mosaïques
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