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Covid-19 : l’incertitude du jugement médical à l’épreuve de l’éthique

Covid-19 : l’incertitude du jugement médical à l’épreuve de l’éthique

En ce temps d’exception de confinement de la moitié de l’humanité que nous impose la pandémie du Covid-19 provoquée par la transmission extrêmement rapide du coronavirus, cette crise sanitaire a fait abruptement resurgir de manière inédite les questions de l’éthique et de la méthodologie dans la pratique des essais cliniques à la recherche des solutions thérapeutiques pour vaincre le coronavirus et sauver la vie des patients confrontés à cette nouvelle maladie. Les sorties médiatiques intempestives du professeur Didier Raoult de l’IHU de Marseille et l’urgence de la prise en charge clinique des patients souffrant du Covid-19 ont rompu dans le monde médical la distinction habituelle entre l’orientation thérapeutique de la médecine et sa branche orientée vers la recherche. Ces deux branches de la médecine comportent une dimension pratique : soit en vue de soigner et de guérir, soit au service de la connaissance et de la science.

Les questions d’éthique sont impliquées dans ces deux branches puisqu’elles interviennent de manière délibérée dans le processus du vivant qu’il soit de la vie humaine ou non humaine. Dans l’incertitude du traitement efficace de cette nouvelle maladie, l’urgence morale et humaniste de soigner et de sauver des vies peut-elle justifier le non-respect des règles déontologiques et du cadre institutionnel des procédures de validation du protocole des essais cliniques ? L’événement inédit de la pandémie du Covid-19 ne met-elle pas en conflit l’orientation thérapeutique et l’orientation méthodologique de la médecine ?

Même si l’urgence sanitaire a fait voler aux éclats la distinction de ces deux orientations de la médecine, il paraît plus approprié de circonscrire les problèmes éthiques propres à chaque orientation pour que chacune soit conforme et fidèle à sa visée propre dans la prise de décision prudentielle sur ce qu’il faut faire en situation de catastrophe sanitaire marquée par l’incertitude autour d’un éventuel traitement efficace d’une nouvelle maladie.

Le cadre déontologique de validation des protocoles de recherche médicale

L’urgence sanitaire ne saurait remettre en question la mise en œuvre des protocoles conformes aux exigences éthiques et méthodologiques des essais cliniques. Comment évaluer les critères méthodologiques et les prises de décision dans la mise en œuvre des essais cliniques ? L’intérêt supérieur de la collectivité peut-il justifier la violation des droits de la personne comme patient en l’exposant à des risques liés aux essais cliniques ? Les controverses médiatiques entre les chercheurs autour de l’Hydroxychloroquine et de l’Azithromicine et la pression publique exercée sur le gouvernement en France et ailleurs suite à la montée d’une inquiétude collective ne révèlent-elles pas l’utilité d’un tiers qui détiendrait une autorité de régulation pour contrôler et valider la conformité des essais cliniques mis en œuvre pour faire reculer la pandémie ?

Les essais cliniques sont soumis à des règles de bonnes pratiques définies par différents codes nationaux et internationaux. De manière convergente, le Code de Nuremberg après la Shoah, la Déclaration d’Helsinki promue par l’Association médicale mondiale, le Code français de déontologie médicale énoncent des règles d’une exigence de responsabilité, de respect, d’intégrité et de loyauté, de bienfaisance et de protection de la personne. Ce sont ces exigences éthiques qui gouvernent la méthodologie des protocoles de recherche et leur recevabilité dans les contextes de démocratie sanitaire.

Ces règles déontologiques qui gouvernement les pratiques de la science et des protocoles de recherche médicale sont-ils applicables sans dérogation dans des circonstances exceptionnelles d’une pandémie dont la létalité se propage plus vite que le temps moyen ou long nécessaire à la recherche pour trouver les traitements efficaces pour faire reculer la pandémie ? En cas de situation de pandémie, la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme prescrit, dans un cadre limité dans le temps de la pandémie, quelques dérogations sans renoncer aux exigences de règles protectrices de la personne avec des critères de justification et des modalités de contrôle.

Les essais cliniques se  trouvent pris dans un conflit paradoxal éthique entre une avancée scientifique bénéfique pour la santé publique et le souci de protection de l’individu. En cas d’absence de traitement avéré, l’article 37 de la Déclaration d’Helsinki autorise, avec les conseils d’experts et avec le consentement éclairé du patient, des essais cliniques non validés d’un point de vue des méthodologies habituelles s’ils offrent une chance de sauver la vie, de rétablir la santé ou d’alléger les souffrances du patient. Mais ces essais cliniques de médicaments à usage humain dans des situations exceptionnelles se font dans le strict respect des règles d’anticipation et de limitation des risques acceptables. L’éthique des essais cliniques dans l’urgence d’une pandémie ne saurait être une éthique de conviction doctrinale d’un point de vue de la méthodologie des protocoles, mais, comme le souligne E. Hirsch, une « éthique de la responsabilité, de la rigueur, mais aussi de la prudence » (E. HIRSCH, « Recherche biomédicale : quels principes éthiques en temps de pandémie ? », dans The conservation, 27 mars 2017).

L’incertitude du jugement médical dans les controverses méthodologiques et éthiques des essais cliniques du Covid-19

On peut dénoncer le parti pris du Didier Raoult dans sa tribune publiée le 25 mars dans le Monde pour la « morale » et «l’humanisme » du serment d’Hippocrate lorsqu’il fait usage de la prescription l’Hydroxychloroquine et de l’Azithromicine pour le traitement des malades du Covid-19, un traitement non avéré efficace ni homologué par la communauté scientifique médicale et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Celui-ci reprochant aux médecins d’agir en « méthodologistes » qui s’abstiennent de soigner en justifiant leur décision de ne pas soigner en raison de l’incertitude qui pèse sur le traitement efficace. D’où quelques question soulevées par J. Ferry-Danini dans sa Petite introduction à l’éthique des essais cliniques : le défaut de méthodologie observé dans les pratiques de Mr Raoult peut-il être justifié par une éthique de l’urgence de soigner dans des circonstances exceptionnelles de pandémie ? Ne remet-il pas en cause la légitimité morale et éthique des essais cliniques ?

Dans l’urgence sanitaire de la prise en charge des malades du Covid-19, les chercheurs et les praticiens se trouvent dans une situation d’incertitude à l’égard de l’efficacité des traitements proposés dans les essais cliniques. Lorsqu’on a affaire deux traitements A et B, un essai contrôlé comparant A et B n’est éthique que si les chercheurs ne savent pas lequel des deux traitements A ou B est le plus efficace. La pratique des essais cliniques est juste lorsque l’incertitude des chercheurs est en équilibre si elle ne se penche ni vers le traitement A ou vers le traitement B (A ce propos, voir J. Ferry-Danini citant B. Freedman, « Equipoise and the ethics of clinical research », New England Journal of Medicine, 1987, n° 317, p. 141-145). Pour lever l’incertitude dans le jugement médical, les essais cliniques n’obtiennent des résultats probants menant la communauté scientifique vers un consensus au sujet de l’efficacité et de la sécurité de chaque traitement donné que s’ils sont contrôlés et randomisés à double aveugle.

Un essai clinique est d’abord dit contrôlé quand le protocole d’expérimentation travaille avec deux groupes dans l’échantillon. Un groupe test reçoit la molécule dont l’efficacité du traitement est testée ; un autre groupe contrôle qui ne reçoit pas la molécule testée, afin de comparer les deux groupes pour évaluer l’effet réel de la molécule. Ces deux groupes sont ensuite randomisés. Autrement dit, les personnes sont distribuées de manière aléatoire entre les deux groupes en prenant en compte un ajustement des variables tels que l’âge et le sexe qui influencent la guérison. Enfin, l’essai clinique se fait à double aveugle dans la mesure où le patient et le médecin ne savent pas si l’un reçoit ou si l’autre donne un traitement car il y a un effet placebo. Savoir qu’on a reçu le bon traitement peut influencer la guérison du patient et le médecin non plus ne sait dans la mesure où la connaissance peut influencer la manière dont il traite ou soigne le patient.

Le protocole des deux essais cliniques du professeur Raoult ne respecte aucune de ces procédures contrôlées et validées par la communauté scientifique et médicale. En situation d’urgence, sa démarche privilégie le choix moral de soigner contre l’agir méthodologiste des médecins construit sur la base de la méthode et des mathématiques (la probabilité et les statistiques). D’après le professeur Raoult, c’est reconnu dans la communauté scientifique et médicale que « les essais randomisés ne sont pas supérieurs aux essais observationnels » (Extrait de l’entretien du Pr Raoult au Quotidien du médecin, 2 avril 2020). Cette critique méthodologique inspirée de K. Popper part du constat qu’il n’est possible de tirer aucun argument ni sur la certitude ni sur la probabilité des cas des personnes classées dans un groupe placebo (Cf. K. Popper, Conjectures and refutations. The growth of scientific knowledge, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1963, trad. franç. De Launay, Conjectures et refutations. La croissance du savoir scientifique, Paris, Payot, 1985, p. 61).

On a vite fait de canaliser le débat sur la méthode scientifique qui mènerait à des certitudes alors que l’enjeu de la situation d’exception de la pandémie du Covid-19 est de choisir le meilleur traitement parmi ceux disponibles le plus à même de mettre en évidence des relations de cause à effet. Le procès contre le dogmatisme des essais cliniques randomisés est une invitation à reconnaître que toute tentative honnête pour ajuster une méthode à la pratique réelle de la science biomédicale conduit à l’aveu que la science se moque de toutes les méthodologies (cf. P. Feyerabend, Against method, Londres, New Left Books, 1975, trad. franç., Contre la méthode, Paris, Le Seuil, 1979).

C’est davantage la déontologie communicationnelle du Pr Raoult qu’on peut critiquer et non son  choix épistémologique pour les essais observationnels. Son mode de communication poserait alors, selon le billet J. Ferry-Danini, un problème éthique dans la mesure où il ne respecte pas l’article 13 du Code français de déontologie médicale qui met en garde contre toute communication publique sans prudence des résultats scientifiques. Il peut induire une crise politique dans la crise sanitaire. En revendiquant l’urgence de soigner en situation exceptionnelle de pandémie du Covid-19 contre les précautions méthodologiques et prudentielles de l’essai Discorvery lancé en Europe, il se peut que le professeur Raoult n’a pas distingué dans sa démarche la branche de la recherche médicale de son orientation clinique et thérapeutique pour laquelle la relation médecin-patient a une structure intersubjective peu impliquée dans la recherche au service de la connaissance et de la science ayant l’intérêt général comme visée.

La relation médecin-patient est structurée d’abord par un pacte de soins basé sur la confiance au cours duquel le patient porte sa plainte à l’écoute du soignant qui s’engage à le suivre. Une alliance est ainsi scellée entre deux personnes contre un ennemi commun, la maladie. Cet accord doit son caractère moral de la promesse tacite partagée par chacun d’honorer ses engagements vis-à-vis de l’autre. Cette promesse instaure ici une relation singulière au cours laquelle ce n’est pas l’espèce  que l’on soigne, mais une personne unique dans le genre humain. Ensuite, cette relation est encadrée par un contrat médical régit par le Code déontologique de la profession médicale relié à d’autres normes gouvernant le corps médical à l’intérieur d’un corps politique donné (Voir Paul Ricœur, « Les trois niveaux du jugement médical » (1996), dans Le Juste 2, Editions Esprit, 2001, Paris, p. 227-243).

 

David-Le-Duc TIAHA

Philosophe, ancien lauréat du Fonds Ricœur, et physicien. Il est professeur certifié de sciences physiques et chimiques au Lycée Blanche de Castille de Villemomble (Académie de Créteil) et chercheur correspondant du CEMS(EHESS). Il a enseigné la philosophie biomédicale au service des soins palliatifs du CHU Henri Mondor de l’Université Paris-Est Créteil.

Commentaire : 1

  1. Jean Paul dit :

    Merci pour cet éclairage!

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