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Le virus de la peur

Le virus de la peur

Cette nuit encore, je me suis réveillé en sursaut, submergé par une foultitude de micro-organismes. Très probablement, ce fichu virus, qui fait fureur. Il semble bien que j’en sois atteint. Ou moi, ou l’un de mes proches : un ami ou un membre de ma famille. Peut-être est-ce bien réel tout ça ? Non ! Ce n’était en fait qu’un rêve. Il s’agit encore de l’une de ces nuits au sommeil tourmenté et hanté par le spectre de cette chose horrible, ce microbe aussi infime qu’insignifiant qui, depuis quelques mois déjà, décime en dizaines de milliers, les populations de la planète. On la voit partout, cette chose que l’on peine parfois par crainte, à désigner. Que l’on soit endormi ou éveillé, qu’on veuille y penser ou non, elle est là, cette chose. Elle est omniprésente et entretenue au quotidien par cette viralité médiatique qui, consciemment ou non diffuse, à son tour un virus d’un autre type, peut-être bien plus violent que cette chose innommable et insignifiante qu’est le Covid-19 : le virus de la peur.

Depuis l’annonce des premières chiffres du Covid-19 à Wuhan le 31 décembre dernier, le monde entier frémit ! Cueilli à froid par cette chose mystérieuse et cruelle, il vit l’un des instants les plus anxiogènes de son histoire. Oui ! Le Covid-19 est un péril pour ce que nous avons de plus cher et de plus essentiel : la vie. Le virus circule, véhicule et inocule. Il ne connaît ni frontières, ni régions, ni races, ni ethnies. Il se propage à une très grande vitesse, tutoyant et tuant sans discriminer, Noirs et Blancs, vieux et jeunes, filles et garçons, riches et pauvres, gouvernants et gouvernés, dominants et dominés, etc. (Cheikhna Cissé, 2020). Ce redoutable invisible, désormais ennemi n°1 de l’humanité, ne choisit pas ses victimes. Il est presqu’impossible à ce jour de décompter le nombre d’individus infectés et/ou affectés, mieux encore, de deviner l’ampleur de la mort et de la désolation qu’il créera dans les tous prochains jours. L’humanité est en deuil et compte ses morts : près de 115.000 sur un total de 1.854. 464 cas officiellement diagnostiqués dans environ 200 pays.

Le Covid-19 entre viralité médiatique, flambée de peur et nécessaire confinement

Les moins optimistes prévoient à plus de 2 millions, le nombre de décès au États-Unis seulement, nouvel épicentre de l’infection à coronavirus. En Afrique, où on ne dénombre encore que quelques centaines de cas (près de 500), Bill Gates et compagnie estiment déjà à plus de 10 millions, le nombre de décès que pourrait causer le Covid-19 sur le contient. Une crainte que semblent confirmer les récents appels à se préparer au pire, lancés par Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS. Ce qui précède a eu pour effet d’accélérer les appels à la mobilisation mais surtout, les « appels à la peur »[1]. La particularité de l’infection à coronavirus tient en effet au fait que, contrairement à d’autres pandémies probablement bien plus meurtrières comme la peste (Chiffoleau, 2012)[2], celle-ci est marquée par l’omniprésence des réseaux sociaux et des chaînes d’informations en continu, mais aussi des médias constamment à l’affût des derniers cas contaminés ou morts, et/ou du dernier foyer épidémique. Les informations qu’ils diffusent ne sont pourtant pas sans conséquences dans les esprits des individus. Elles suscitent au contraire peur et émoi, qui jouent un rôle déterminant dans l’adoption de nouveaux comportements.

C’est environ 4 milliards d’individus (plus de la moitié de la population mondiale) qui vivent aujourd’hui confinés. Pris d’effroi et de terreur, le monde s’emmure. Presque tous lavent plusieurs fois les mains au courant d’une même journée, de manière parfois inconsciente. Aux oubliettes la poignée de main virile, les bises, les baisemains et autres rituels révérencieux et prétentieux venus parfois de l’autre côté de l’Atlantique ! Le coronavirus bouleverse les rites et les rituels. « C’est le sauve-qui-peut généralisé » ! L’état d’urgence sanitaire est presque partout signalé. Raison principale ? Éviter la propagation du virus ! Ce changement brusque d’attitudes, phénomène apparemment banal, avait déjà pourtant donné lieu à des analyses pointues de certains chercheurs, qui ont tenté d’expliquer les mécanismes d’influence de ces messages, aux fins de communication de santé, qui génèrent la peur : cette émotion évaluée négativement, et qui s’accompagne d’un fort taux d’éveil (Witte, 1992, 1998). La peur est au centre de toutes les perturbations psychiques. Compte tenu de son imprévisibilité, la pandémie actuelle en ajoute à notre angoisse et, la viralité médiatique qui l’accompagne en constitue un facteur aggravant.

Communication de santé Vs appels à la peur : entre théorie et pratique

Les auteurs qui s’intéressent aux appels à la peur aux fins de communication de santé comme objet d’étude distinguent les « appels à la peur de faible intensité » des « appels à la peur de forte intensité ». Pour eux, les appels à la peur de forte intensité produisent des perceptions élevées de sévérité de la menace et de vulnérabilité. Ils ont un impact persuasif plus important que les appels à la peur de faible intensité. Dans quel registre doit-on dès lors classifier les appels à la peur produits par les communicateurs, en contexte de pandémie du Covid-19, surtout lorsqu’on observe chez certains individus, une appropriation quasi systémique des idées réformatrices édictées par les gouvernements, et chez d’autres, une forme de déni, d’évitement défensif ou de réactance ? C’est peut-être ici que la théorie cesse de se vérifier, pour laisser transparaître la réalité, vraie et têtue.

Les appels à la peur motivent « la mise en place d’actions adaptées au contrôle du danger, comme l’acceptation du message, et la mise en place d’actions de contrôle de la peur mal adaptées, comme l’évitement défensif ou la réactance ». Le rapport de la menace à la peur est donc à établir. Ces deux notions (menace et peur) sont en effet liées de façon réciproque et complexe. Plus la menace perçue est en effet forte, plus la peur ressentie est importante (Witte, 1992, 1998). C’est dire en d’autres termes que les messages générant une forte peur et ayant une efficacité élevée favorisent plus le changement de comportement, alors que les messages générant une forte peur, mais une efficacité faible, favorisent l’apparition des réactions défensives » (Mike Allen & Kim Witte, 2004). Les théoriciens suggèrent en tout cas aux concepteurs des messages de prévention des maladies ou de promotion de la santé, de favoriser des niveaux de peur et d’efficacité élevés s’ils veulent persuader les destinataires et encourager le changement d’attitude, d’intention et de comportement. Peut-être est-ce bien ce que nous observons en ce moment avec le Covid-19. Et si tout ça n’était que pure utopie ?

Il est difficile, voire impossible, de nier aujourd’hui l’existence de ce virus. Mais si les communications autour visaient tout simplement à accroître chez les humains leur degré de peur ? Et si ces peurs visaient autre chose que les fins officiellement annoncées ? Quoiqu’il en soit, face à cet afflux de peurs voulues ou non, conscientes ou inconscientes, l’être humain doit plus que jamais accepter de vivre de ses peurs et avec ses peurs. Il serait en effet plus sage, d’accepter que tous ces morts, cette pandémie, ou mieux, cette situation effroyable n’a finalement aucun sens : une forme de résilience en somme ! L’être humain doit se résoudre « à faire avec » et « à faire contre » (Barras, 2020). Une attitude qui lui permettra, de scruter l’impensé de la place de chacun de nous dans l’Univers, nos comportements vis-à-vis de notre environnement immédiat (Mbembe, 2020), et l’équilibre entre le vivant et le non-vivant (Barras, 2020).

[1] Vu comme l’ensemble des messages persuasifs qui éveillent la peur. Ceux-ci participent au changement de comportement, avec un effet boomerang.

[2] La peste noire qui envahit Marseille en 1347 fait près de 25 millions de morts en Europe (soit 30 à 50% de la population), celle de Londres de 1665 fait un peu plus de 70 400 victimes et celle de Marseille de 1720 décime plus de 50 000 marseillais en quelques semaines seulement.

Bibliographie

Cheikhna Cissé (2020). Covid-19 : Le monde a peur. in https://www.financialafrik.com/2020/04/05/covid-19-le-monde-a-peur/.

Chiffoleau, S. (2012). Genèse de la santé publique internationale : de la peste d’Orient à l’OMS. Paris: Presses Universitaires de Rennes et Ifpo.

Witte, K. (1992). Putting the Fear Back into Fear Appeals: The Extended Parallel Process Model. Communication Monographs, 59(4), 329-349.

Witte, K. (1998). Fear as motivator, fear as inhibitor: Using the extended parallel process model to explain fear appeal successes and failures. Dans P. A. Andersen, & I. K. Guerrero, Handbook of communication and emotion: Research, theory, applications, and contexts (pp. 423-450). San Diego (CA): Academic Press.

Allen, M., & Witte, K. (2004). A Meta-Analysis of Fear Appeals: Implications for effective Public Health Campaigns. Questions de communication, 5, 133-148.

Barras, V. (2020). Face à la maladie, la peur a-t-elle un sens? in https://www.rts.ch/info/culture/11211872-face-a-la-maladie-la-peur-a-t-elle-un-sens-.html

Mbembe, A. (2020). Le droit universel à la respiration. in Corona Impressions, Social Scientists Initiatie Against Covid-19 in Cameroon: http://covid-19-cameroon.org/le-droit-universel-a-la-respiration

 

 

Simplice Ayangma Bonoho

Historien, Université de Yaoundé I et Université de Genève

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