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Les Petits Blancs

Les Petits Blancs

Le Covid-19 est une énigme scientifique et les laboratoires équipés pour la recherche planchent sans relâche afin de mettre vite au point un vaccin contre cette calamité. Il se dit tout et n’importe quoi sur le palier traitement curatif. La chloroquine administrée par le toubib aux cheveux longs, Raoult Didier, a même suscité une chaude querelle épistémologique entre les scientistes accrochés à la méthode et les pragmatistes autrement plus ouverts sur l’expérience. Les Mister Sabitou [Les messieurs je sais tout] déferlent sur les réseaux sociaux et un flux de haut-parleurs traverse les plateaux de télévision. Tous ne tournent pas sept fois dans leur bouche la langue avant de s’exprimer et ça leur vaut à l’occasion des retours de manivelle pas volés du tout à ceux-là. Ainsi, de ce chercheur labellisé Inserm, préconisant de conduire des tests en Afrique et qui évoque le scabreux précédent survenu sous le signe du VIH, avec des prostituées prises pour des cobayes à leur insu.

Le placide Didier Drogba a vu rouge vif et pas que lui. Le Parloir s’est enflammé comme la savane en saison sèche avec une furtive étincelle. Quoi ? Comment ? On est où là ? Mais d’où sort ce corniaud ? L’indignation a proféré des noms d’oiseaux en vrac. Cet abruti avait-il perdu de vue qu’il se trouvait sur le plateau de LCI et non dans son troquet favori, à y échanger avec ses acolytes des blagues douteuses ? Sermonné copieusement à l’Inserm dont l’image institutionnelle ne peut que pâtir d’une sortie aussi minable, raciste, il a présenté ses excuses dès le lendemain. Peut-être même bien que c’était ça ou il déguerpissait les lieux sine die… Pareil marché, et pas moins, serait à la dimension de l’offense. Ou comment ravir la vedette au médiatique Dieudonné. C’est du même calibre que les propos de Sarkozy à Dakar sur l’Histoire et l’Afrique. Toutefois, ce beau et vertueux tollé reste encore une réaction épidermique, compréhensible certes. Mais elle ne va pas plus loin que la réprobation publique et ces excuses sont irrecevables. Puis-je me permettre d’avancer ici qu’au chapitre de la risée publique, nous n’avons là que ce que nous méritons ?

Depuis des décennies, nos dirigeants, sur la scène internationale, s’aplatissent devant les petits Blancs sans s’en rendre compte et alimentent le réservoir de railleries. Sous leurs égides fort sympathiques, les peuples souffrent, meurent de faim et crèvent comme des rats en des mouroirs qui n’ont de dispensaires que de nom et je ne parle même pas d’hôpitaux. L’abus de langage bat son plein dans le domaine des missions régaliennes que sont la santé et l’éducation, mais il n’arrive plus à donner le change, tellement la faillite saute dorénavant aux yeux les moins avertis. D’où qu’un pompier espagnol peut lâcher sans complexe que la désolation frappant l’Espagne aujourd’hui n’était pour lui concevable qu’en Afrique, continent emblématique de la désorganisation et de l’entropie, du pourquoi faire bien si on peut faire mal sans que le ciel ne nous tombe sur la tête ! Défrayant la chronique de l’ignoble en toute impunité, leurs inconduites et méfaits constituent le socle du mépris sur lequel quelques petits Blancs se juchent pour parler de l’Afrique postcoloniale avec la légèreté des feuilles mortes.

Des clichés dévalorisants circulent sans peur et sans reproche sur la fréquence mainstream. En témoignent ces injures racistes qui pleuvent sur les footballeurs noirs, Mario Balotteli & Co, dans les stades accueillant des matches du championnat professionnel de première division. Des hordes de petites frappes imbibées de mauvaise bière et gorgées d’ignorance crasse, prises dans leurs œillères et souvent moins scolarisées même que des canards boiteux, donnent de la voix depuis les gradins bondés sur cet honorable registre bilieux. On se croirait ramenés un siècle en arrière soudain par un élastique. Les Aimé Césaire, Frantz Fanon, René Maran, Léopold Sedar Senghor, Chinua Achebe, Amos Tutuola, Wole Soyinka, Myriam Makeba, Manu Dibango, Fela Anikulapo Kuti, Marima Ba, Edouard Glissant, Ayi Kwei Armah, Youssou N’dour, Toure Kunda et tant d’autres ne sont pas passés par là. L’esprit démocratique en Zone de Commodités aura laissé prospérer au sein de cette société faustienne et athée une représentation avilissante de l’Afrique tellement prégnante dans le viatique culturel du pékin de base européen qu’il est plausible de se demander si cet (ost)racisme au long cours n’est pas l’ombre portée et sine qua non de sa piteuse suffisance. Entre son étendue et son épaisseur avérées, la déconsidération de l’Autre serait-elle, nonobstant les discours aussi suaves que redondants sur l’humanisme et l’universalisme, constitutive in fine de l’identité historique de l’Occident comme un saurien est armé de crocs redoutables parce que la pression sélective de l’Évolution l’a déterminé ainsi ? Elle serait alors au modus vivendi européen cher à la nouvelle présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von Layen, ce que la matière noire est à l’Univers.

L’hypothèse et le rapprochement cosmologique sont d’autant plus tentants que dans l’hémisphère Nord, la racisation gagne du terrain sur la fraternisation. Les maîtres d’œuvre du Détriment dans l’Histoire ont réussi ce tour de force culturel et politique de faire croire aux peuples européens que l’état d’abondance dans lequel baignent leurs existences confortables est le fruit de leur seule ingéniosité, de leur seul labeur. Une très lourde tenture à fronces dissimule soigneusement les coulisses de cette savoureuse félicité terrestre sur laquelle les Nouveaux Arrivants feraient peser une menace. La Traite négrière ? Les champs de coton et de canne à sucre ? Le commerce triangulaire et première globalisation ? Le caoutchouc rouge du Congo pour les roues des premières voitures ? La colonisation ? Avec son cortège d’exactions sanglantes et de barbares ignominies ? Des faits divers sans importance ni conséquences. Ils ne comptent guère sur la paillasse des relations internationales et les programmes scolaires homologués dans les pays qui constituent l’espace Schengen évitent systématiquement ces sombres chapitres de la saga altricielle sur Terre. N’est-ce pas là, en bonne et due forme, de la dissimulation ?

Obnubilée et complètement aveuglée par la pulsion d’hégémonie, dans sa fuite en avant entropique, la déraisonnable engeance faustienne joue la clôture du monde contre l’ouverture foncière du vivant dont le bipède à cerveau volumineux atteste magnifiquement sur le théâtre des apparences, parmi les autres étants. L’Occident se fourvoie, entraînant jour après jour la civilisation sur un sentier de perdition infâme, et la galerie applaudit des deux mains à tout rompre. La fronce Covid-19 est une injonction ferme au dessillement et toutes affaires cessantes. Cette semonce venue de la zone floue qui s’étend entre le vivant et l’inerte ne souffre pas de procrastination, ni de tergiversation. Car il y va de la suite des jours dans l’écoumène et de leur teneur générale, à bord de l’astre Terre, « flottant » dans la Voie Lactée. Le blocage de la matérialité par l’immatérialité envoie un signal fort dans ce sens.

L’Occident présente les symptômes psychologiques et caractéristiques de ce que Leibnitz appelait la petitesse dans le domaine de la philosophie : l’arrogance, l’ignorance et le refoulement collectif (Fausto Praisopi, La complexité et les phénomènes, nouvelles ouvertures entre science et philosophie, Hermann, 2012). Le mal est profond et continuera de produire des petits blancs aussi âcres que la fumée d’une piètre combustion. Il s’agit alors de couper l’herbe sous les pieds aux histrions de cet acabit et ça passe par le démontage méticuleux de la grossière dissimulation qui entretient une illusion tenace sous les cieux faustiens que leur aisance matérielle ne doit rien au reste du monde. Le clos ne peut triompher de l’ouvert que provisoirement et sa défaite commence avec cette glaciation tout à fait improbable de la frénésie sur une partie de la planète.

Lionel Manga

Écrivain, critique d'art et chroniqueur. Douala, Cameroun

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