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Malbouffe et Nicotine

Malbouffe et Nicotine

Présumés « inventeurs » de l’ADN dans un monde pré-biotique dominé alors par l’ARN, les virus sont probablement bien plus que de « simples boîtes à génome » supposées inertes. On estime qu’il en existe 10²¹ sur la planète. Soit « une diversité infiniment supérieure à celle cumulée des trois (autres) règnes du vivant »[1] et nous en connaissons de ce stock, seulement 10 000 différents pour l’heure. Une infime fraction. Phénoménale est donc, sur ce palier, notre ignorance. Experts de la recombinaison génétique, les stratégies intracellulaires déployées, mimétisme intrusif et réplication invasive, font d’eux des parasites obligatoires. Michel Serres n’a-t-il pas promu d’ailleurs l’opération parasitaire à la « dignité d’un des secrets de la vie »[2] ? Cela étant posé et entendu, depuis le règne bactériel jusqu’aux organismes évolués dont la complexité structurale croît, l’évolution a pourvu le vivant d’un bouclier moléculaire : le système immunitaire. Faut-il être diplômé de Stanford University pour comprendre intuitivement que l’attaque réussie d’un agent infectieux prouve une altération de cette fonction défensive ? La question suivante va alors de soi : qu’est-ce qui peut la provoquer ou induire cette brèche ?

Les statistiques déjà collectées et traitées de la létalité du Covid-19 en Occident montrent à ce jour que les seniors sont la couche de la population la plus touchée par l’épidémie. Sexagénaires et au-delà, ils/elles ont derrière eux/elles une longue vie souvent de piètre alimentation liée au modus vivendi moderne, celui-là même qu’Ursula von Layen entend protéger à Bruxelles, sous son égide en tant que Présidente de la Commission. Entre les produits cuisinés « prêt-à-emporter », saturés d’agents conservateurs, et ceux de la terre, issus de l’agriculture productiviste, chargés de pesticides et d’engrais chimiques, ce régime alimentaire malsain, aussi déplorable que décrié par les nutritionnistes honnêtes, affaiblit au long cours le système immunitaire. D’où l’engouement ancien déjà et intarissable en Occident pour les compléments vitaminiques, en marge du basculement bio dans les habitudes de table. La malbouffe est un fléau mondial désormais qui pave la voie à d’autres agents pathogènes en sommeil dans un réservoir. Il n’y a pas que ça pour ouvrir une brèche dans le bouclier moléculaire.

Femmes et hommes, ces seniors sont emporté(e)s par des détresses respiratoires. Lorsque le data mining va s’emparer sous peu des données recueillies sur l’ensemble des patients atteints du Covid-19, il se pourrait bien que les corrélations dégagées mettent en évidence un profil moyen titré addiction à la nicotine. Le cancer du poumon provoqué par le tabagisme reste quand même l’une des principales causes de mortalité en Zone de Commodités (Occident) et ceci tous âges confondus. Dans son principe moléculaire, la prolifération métastatique ne diffère pas de la multiplication virale : colonisation des cellules saines. Les mêmes corrélations dresseraient du patient guéri un profil non fumeur. Partant, le rapprochement entre les deux processus pathologiques s’impose de lui-même à la raison. Ainsi que l’inférence en découlant : des organismes moins exposés à la malbouffe et au tabagisme vont certainement mieux opposer une résistance vitale à l’intrusion du Covid-19. L’Afrique est la seule aire de la planète matchant ces critères…

Rapporté à l’ensemble de la population, c’est une poignée d’hurluberlus qui s’adonnent à ce poison industrialisé par les États-Unis d’Amérique et agréé par les États qui prélèvent des impôts sur ce business lucratif en Nicotinia. Ce n’est pas demain à Dakar, Douala ou Brazzaville, comme lors de mes dérives dans Berlin à l’été 2000, qu’une adolescente me demandera « Hast du eine Cigarette ? ». L’Afrique n’en est pas au niveau de dépendance de l’Occident. Tellement que les buralistes qui vendent des cigarettes ont dès le départ fait partie des commerces déclarés utiles et restant ouverts pendant le confinement en France. Sans ce dangereux tranquillisant de masse, homologué en effet, fonctionnant comme une nasse par ailleurs, la société faustienne virerait du jour au lendemain en théâtre de la cruauté où les névroses s’épanchent allègrement, portées par l’affranchissement des pulsions morbides.

Si l’Afrique venait à passer au travers de cette calamité sans qu’elle tourne à la catastrophe que le monde entier attend, ce sera pour ce double motif : on n’y mange encore pas trop mal, plutôt bio en général, même si les mauvaises pâtes de blé dur européen calent de plus en plus les estomacs des soutiers du Fiasco, et on n’y fume pas autant que les locomotives du Nord. Au cas où cette hypothèse se confirmait demain, alors les activistes, les professionnels de la santé et la cohorte anti-tabac, tiendraient un levier pour engager la bataille décisive contre le lobby du Golden Holocaust. C’est le titre du réquisitoire le plus sévère qui ait jamais été dressé contre cette industrie de mort.

Ce serait aussi l’occasion rêvée de stopper une fois pour toutes les manigances de l’agrochimie sous nos cieux. Je revois encore ce jour où, concepteur-rédacteur dans une agence de communication, un agent commercial de Nestlé nous explique, à mes collègues et moi dans leurs bureaux, l’intention du groupe aux oiseaux dans le nid d’introduire le lait concentré sucré dans la diète du cru et il voulait collaborer avec nous dans cette perspective. J’ai cessé de l’écouter aussitôt, non sans lui avoir demandé s’il pouvait tenir pareil discours dans le sud de la France, mettre côte-à-côte, sans frémir, une bouillabaisse et une boîte de lait concentré sucré. Un silence éloquent me répondit et pour cause : il se ferait jeter illico par l’assistance. La tentative d’infiltration et d’édulcoration n’est pas allée plus loin que cette première réunion, stoppée net par un réfractaire à ces manœuvres sordides où l’Afrique est prise soit pour un parc à thèmes, soit pour un terrain d’essais scabreux impensables ailleurs.

Il vaudra toujours mieux prévenir que guérir. Pas vrai ? Une alimentation saine, de qualité, riche en vitamines et en oligo-éléments, est un facteur de bonne santé pour tous/toutes et de réduction des dépenses liées pour les ménages. La solidité et l’efficacité du bouclier moléculaire en dépendent. Ces enjeux sont trop importants pour les laisser encore aux seuls experts patentés. Aliko Dangote est anachronique qui projette une usine d’engrais pour approvisionner la sous-région. Il lui veut du mal ? Le futur de l’agriculture est à la circularité des processus, rien ne se perd et tout se transforme. Ce qui est arrivé au maïs est déjà suffisamment scandaleux comme ça, avec la quasi-disparition des succulentes variétés locales, au bénéfice de celles dites à haut rendement. Le sanga (plat camerounais fait de maïs, de feuilles de morelle noire, localement appelées ‘zom’, et de jus de noix de palme) n’est plus ce qu’il était ; l’hérésie y met du sucre et on prend le pli, un très mauvais pli en l’occurrence. Parce que le sucre sans modération, à toutes les sauces, c’est cap sur le diabète et il est temps de renâcler sur les sodas aux couleurs fluo qui rincent les gorges sèches sous nos cieux.

[1] Pour la Science, Décembre 2006

[2] p.35, Hominescence, Le Pommier, 2001

Lionel Manga

Écrivain, critique d'art et chroniqueur. Douala, Cameroun

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