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Mon journal du Covid-19 à Yaoundé (1)

Mon journal du Covid-19 à Yaoundé (1)

JOUR 1 : AGRESSIONS ORDINAIRES

Depuis qu’on en parle, les journées sont devenues moroses à Yaoundé. Les rues sont quasi inertes comme si jamais personne n’avait été dans ces lieux qui passent désormais pour infréquentés. Le Covid-19 est chez nous. Seulement, la prise de conscience n’est pas la chose la mieux partagée. Et le bien-fondé des mesures de prudence n’est pas encore viral. On résiste !

Mercredi, 8 avril 2020, je me rends dans une boutique de mon quartier en matinée. Sur mon chemin, un jeune homme barbu, dans la trentaine. Il est vêtu d’une culotte de couleur vert-pastel assorti d’un t-shirt noir et d’une paire de sandales blanches à la semelle élimée (le genre de sandales que l’on appelle communément au Cameroun « sans confiance ! » parce que leur durabilité et leur solidité sont problématiques). À quelques mètres de lui, se tient une jeune femme qui se rend dans l’une des boutiques du lieu-dit Biyem-Assi Lac à Yaoundé. À son entrée dans la boutique, le jeune homme dévisage la jeune dame (habillée d’une robe fleurie faite de tissu local) qui le précédait à pas lent vers cet établissement. Il la bouscule presque en entrant. Elle a juste le temps de s’écarter du passage. Quelques secondes plus tard, il passe sa commande chez Grand H. Pendant que celle-ci est traitée, la jeune dame, à bonne distance de lui, attend son départ pour être servie à son tour. Le bras droit sur le comptoir marque l’impatience du jeune homme par de légers et répétitifs claquements. Il regarde à l’extérieur puis lance : « Mais madame, entrez aussi on vous sert non !? Pourquoi vous restez dehors comme ça ? » Elle a les bras croisés. Recevant cette adresse, elle a une mine renfrognée. Il rétorque : « Hein ? J’ai mal parlé ? Viens alors on te sert… Je suis galant hein, il y a encore les gars comme moi dehors. » Le boutiquier intervient : « Mon frère, avec le Corona qui est dehors-là tu ne vas pas quand-même lui demander de se serrer avec toi ici. » Il s’ensuit un monologue qui ne manque pas d’exaspérer la jeune dame.

Le jeune homme : « Ahan ! Donc elle fuit le Corona hein ? Ma mère [à l’adresse de la jeune dame], moi je n’ai pas ça. Je ne sais pas comment on fait pour attraper ça… Les Blancs là souffraient là-bas chez eux avec ça, maintenant ils ont envoyé les autres ici pour nous donner ça. C’est leur maladie là-bas nous on n’attrape pas ça ici. Ceux qui sont malades là, ce sont les mbenguistes[1]. »

Pendant ce temps, la jeune dame semble de plus en plus agacée. On peut lire dans son regard et sa posture dandinante, qu’elle perd patience à mesure que ce dernier débite son discours. Le boutiquier, quant à lui, essaye, à sa manière de calmer le jeu tout en s’occupant du service.

Grand H : « Elle a raison, on doit se protéger. Il faut la distance… »

Quand il est enfin servi, il se retourne, regarde la dame qui s’éloigne à reculons, en portant la main gauche sur ses lèvres, pour le laisser passer. Elle le fixe avec dédain pendant qu’il dit : « Ce n’est pas comme ça qu’on attrape le Corona hein, la maladie-là ne va pas nous atteindre. Tu m’évites, tu m’évites pourquoi alors qu’on achète les choses ici chaque jour ? Donc pour rien comme ça moi j’ai seulement attrapé la maladie… ». Une fois qu’il a le dos tourné, elle susurre : « N’importe quoi ! » et entre dans la boutique à son tour.

De longues minutes à observer cette scène alors que je ne comptais acheter qu’un paquet de mouchoirs jetables à cet endroit. Mon trajet se poursuit vers un autre commerce où abonde une clientèle désireuse de se désaltérer de la meilleure des boissons ici : la bière. Des hommes sont assis côte à côte, autour des tables disposées pour la circonstance et sur lesquelles des bouteilles et des verres suent de fraicheur. La distanciation sociale prescrite n’est pas à l’ordre du jour ici. À mon entrée, munie d’un masque cache-nez, je me fais dévisager par l’assistance. Le port du masque est assez disputé. Un homme dans la cinquantaine éructe : « Dit donc !? les gens-ci [à mon adresse…] veulent même montrer que quoi ici dehors ? On n’a même pas encore dit qu’on a beaucoup de cas ici, mais ils font déjà comme si nous ici au bar on est malade… Aka ! [Manière, entre autres de protester ou d’exprimer le dépit localement] ». Ses congénères, d’accord avec lui, se lancent dans des éclats de rires. Après avoir été servie, je me dirige vers la sortie. Alors que je franchis le seuil de la porte, il reprend la parole et me demande directement : « Ma fille, vous voulez même montrer quoi à qui ? Vous portez vos machins que quoi !? Vous avez vu la maladie ici ? ». Je comprends qu’en réalité, munie de ce masque, je représente une catégorie de gens qui en font un peu trop ; qui veulent montrer au reste du monde qu’ils sont véritablement informés et prennent leurs précautions, contrairement à d’autres…

JOUR 2 : DIALOGUES COVIDIENS…

Jeudi, 9 avril 2020. Les mesures gouvernementales pour enrayer la propagation de la pandémie n’ont pas uniquement déclenché la polémique à travers les médias. Le citoyen lambda, où qu’il soit, quoi qu’il fasse, a eu mot à dire sur cette situation qu’il doit désormais vivre. La préoccupation est encore ailleurs car, nombreux peinent à croire à l’effectivité de cette décision. Entre raillerie et confidence, le spectre d’une protection s’amorce lentement.

Partie de la maison pour le lieu-dit Camair[2]afin rallier Soa, en banlieue de Yaoundé, le taxi à bord duquel je suis montée avait transporté trois personnes à l’arrière et une à l’avant. À ce moment-là, la réglementation en vigueur pour les tous les transporteurs n’était pas encore strictement appliquée. Une fois au stationnement, je suis montée dans un car pour Soa. Nous étions assis trois à l’arrière. Quand l’un des « chargeurs » encore appelés ici convoyeurs,[3] est venu demander aux uns et aux autres installés par rangée de trois passagers de faire, dans chaque rangée, une place pour une quatrième personne. Ceci a suscité des réactions indignées de passagers rappelant au chauffeur et à son associé les restrictions en cours en ce qui concerne les transports en commun. Sans succès. Au cours du trajet, une dame assise devant mon voisin répond à un appel. Son interlocuteur semble l’interroger au sujet du Covid-19. Elle dit soudain : « Ah ah ah ah ah ah ah ! Rien n’est grave, rien n’est grave… c’est le bon Dieu qui peut dire que c’est grave, pas nous ».

Pendant ce temps, à ma gauche le débat est ouvert entre un jeune homme et une jeune dame qui au sujet des mesures de « distanciation sociale ». Ils affirment l’impossibilité de respecter une telle mesure.

La jeune dame dit :

  • « Voilà un corps qu’on vient de sortir à la cathédrale là-bas, il y avait combien de personnes ? Ils étaient où pour… » Son interlocuteur l’interrompt et avance :
  • « Ah tant pis, les têtus vont subir ! Quand quelqu’un achète le masque et le met sur ses narines, il oublie que le masque-là a une durée de 2 heures et le porte durant toute la journée. Quand on lui offre un pot quelque part, la bière… »
  • « Attends tu vas rire… » coupe son interlocutrice avant d’ajouter : « Quelqu’un te dit qu’il a mis le masque, mais après il le retire et le baisse jusqu’au menton ; [rires] finalement, poursuit-elle, tu mets le masque pourquoi ? J’ai demandé à la fille-là [celle qui porte le masque et le retire…] que ça sert à quoi ? Mieux tu enlèves ! ».
  • Et le jeune homme de renchérir en riant : « J’ai vu ça hier ici à Omnisports (quartier de Yaoundé) quand je rentrais. Les gars étaient assis au bar. Quand l’un deux veut couper la bière (boire la bière), il descend le masque, il coupe et après il remet le masque [rires]. J’ai seulement dit : « Gars, laisse. Le petit temps que tu enlèves-là, tu penses que si ton voisin est infecté ça n’entre pas ? Il y a une autre dame qui est dans sa voiture, elle rentre du travail. Elle est avec ses collègues dans son véhicule, elle est la seule qui a le masque (…) J’ai seulement dit que c’est peut-être toi-même qui a le virus là. »
  • La fille : « Nous on ne va pas mourir de ça gars. On tourne on tourne, je rentre comme ça, je tourne un bon bouillon de ‘messep’[basilic tropical], je bois avec un bon piment dedans. Si le virus s’installe c’est entre la gorge et la poitrine, tu verses une boisson chaude là-bas. »
  • Le jeune homme : « Tu vas arriver dans un bureau on va te faire nettoyer les mains, on verse le produit ; tu sors on te verse encore le produit. »

La fille : « Laisse seulement, hier j’arrive je trouve qu’on a déjà installé l’appareil pour laver les mains, j’ai ri dans mon cœur. »

Le jeune homme : « Le matin, je vais à l’ancien bâtiment de l’Hôtel de ville. Pour entrer au bureau, on lave les mains. Or je sortais comme ça juste pour saluer un collègue. Pour sortir maintenant et aller au nouveau bâtiment tu laves encore les mains. Je dépose mon sac pour aller saluer le chef, arrivé, je lave encore les mains. Après la journée-ci, quand je sors, toutes les boîtes de produit-là étaient déjà vides [rires]. J’ai encore demandé au type-là (le préposé au lavement obligatoire de mains) que : «  Gars, je veux laver les mains, je vais rentrer… ». Il m’a regardé et a dit : « C’est fini ! » [gels et savons]. J’ai dit que vous n’avez encore rien vu, ça ne fait que commencer ! »

La résistance est donc réelle sous cet angle. Comme pour ces deux, la situation est certes préoccupante. Seulement, les actions pour y faire face paraissent comme banales et suscitent la raillerie chez plus d’une personne.

[1] Appellation commune pour caractériser des personnes qui se sont déplacées vers l’Europe et autres continents (appelé Mbeng) et qui en sont revenus.

[2] Cameroun Airlines.

[3] Personne qui assiste un chauffeur de véhicule de transport en commun, chargé de recruter la clientèle, de signaler les destinations de chacun des passagers durant le parcours et de collecter les frais de déplacement de ces derniers.

Marielle Abate

Étudiante, Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication (Université de Yaoundé II-Soa, ESSTIC)

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