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Quiétude

Quiétude

Le circuit de l’intempérance éthylique étant théoriquement fermé, confinement oblige, il n’y a pas de chats gris, ni non plus de chattes grises à transporter d’un spot à l’autre. Y’a pas un bruit, pas un froissement, pas un craquement dans les parages immédiats. Y’a que ce compact silence furtivement troublé par une pétarade assourdie au loin. Jamais nuits ne furent plus quiètes en « terre chérie » vert rouge jaune. Hormis celles de la tentative avortée de putsch en Avril 1984 à Yaoundé, les 6, 7 et 8, lorsque la poudre ne parlait pas. La fronce Covid-19 présente ce côté positif de frigorifier la frénésie urbaine et de rendre à la nuit ce statut cosmique dont la Fée l’aura dépouillée pour faire d’elle une doublure vénale du jour. Les griseries y frôlent parfois la perdition dans le dédale des fêlures. Cette pause fortuite dans la futilité et la vacuité chronique au 237 (Cameroun) pourrait-elle bénéficier à la lucidité et précipiter une prise de conscience historique que la fuite en avant sous l’égide du régime inauguré en 1958 n’est désormais plus tenable ?

Moyennant le massif de cadavres qui s’empilent chaque jour par le soleil fourbi en Weirdland aka Occident aka Whiteland ou Faustland, le dévoilement spectaculaire par les ravages du Covid-19 de l’iniquité du néolibéralisme ne concerne pas que cette partie du monde, quelque soit le palmarès de l’épidémie sous nos cieux. Les plans d’ajustement structurels ne relevaient-ils pas de cette doctrine mise en forme par le Consensus de Washington ? Le couplage du sida et de la paupérisation tint de la déflagration dans l’habitus vert-rouge-jaune fait d‘insouciance raisonnée et de fierté construite par la propagande du parti unique sur des bases inconsistantes, voire même frisant la fanfaronnade. Les dégâts provoqués sur 360° par le dévissage vertigineux du niveau de vie des classes moyenne furent considérables et leurs effets perdurent à ce jour. Comment oublier cette jeune fonctionnaire et mère venant prendre ses enfants à l’école primaire de la Retraite comme moi, qui râlait de ne plus manger à sa guise du beurre de table et de la charcuterie, denrées importées dont le prix avait doublé du jour au lendemain ? Tandis qu’au même moment le pouvoir d’achat était laminé par une baisse drastique des salaires du personnel de l’État. Cet essorage brutal a induit une durable entropie dans la société camerounaise, dont la vénalité ambiante est le signe le plus manifeste.

Avec la catastrophe Covid-19, comme le philosophe des médias Yves Citton suggère qu’on l’appelle plutôt que « crise »[1] et je partage cette inflexion sémantique au fort potentiel heuristique pour la saisie compréhensive de ce qui nous arrive, il est temps que le rideau tombe sur cette interminable séquence de l’Histoire initialisée le 18 février 1958 avec l’installation du député Ahmadou Ahidjo aux commandes du Cameroun par les missi dominici du gaullisme, Jacques Foccart et Pierre Messmer. Sorti comme un lapin blanc du chapeau, il a fait le job prescrit par la feuille de route, les intérêts de la France n’ont jamais été menacés et son successeur n’a point dévié de cette orientation géopolitique. Certes, la Chine post-communiste lui taille des croupières aujourd’hui et la devance au plan des échanges économiques désormais. Ce virage pragmatique dans la coopération bilatérale ne change de fait rien au cadre capitaliste dans lequel la trajectoire du 237 est enserrée, toutefois.

Cette suspension sine die de la dissipation by night porte évidemment un rude coup aux escarcelles arrimées à cette économie qui maintient couci-couça une flopée de maisonnées au-dessus de la ligne de flottaison. Le manque à gagner subséquent est d’ores et déjà conséquent pour les protagonistes de ce versant nocturne de l’ENO, économie non-observée à l’OCDE ou informelle. Pour autant, cette brèche ouverte dans les routines de la vacuité par l’irruption du Covid-19 est une incitation à méditer sur notre asservissement au Bruit et à réexaminer la teneur de nos certitudes. Où voulons-nous, Africains, aller en tant que collectifs historiques, sachant cependant que ce « nous » n’est pas aussi acquis dans les faits qu’il se laisse dire comme çà, sans entraves, sur du papier ? Le Détriment capitaliste est-il seulement une voie plausible encore vers le futur dans laquelle la suite des jours peut se poursuivre sous nos cieux, accablées que nos sociétés sont par une attrition au long cours et ses effets délétères transmis de génération en génération ? Ces interrogations inévitables valent pour tous les pays africains rendus où chacun se trouve à cette date de son itinéraire chaotique dans l’Histoire contemporaine.

La jérémiade et la résignation occupent le terrain de l’espérance depuis trop longtemps, nonobstant les sursauts de contestation du statu quo survenus ici et là, réprimés toujours dans le sang par le pouvoir, avec une brutalité inqualifiable : elle a pour fonction de refroidir les velléités par la peur de mourir sous les balles d’une garde prétorienne commise au rétablissement sans recul de l’ordre. Autiste et imbu de son aptitude à répandre du sang pour garder la main haute, la caste politique actuelle tentera de persister et persévérer dans son être courant au terme de la létale saison Covid-19, malgré tous les signaux faibles et forts s’y opposant. Dans cette obstination murée, la violence sera encore et toujours son mode opératoire/sa réaction épidermique face au désir s’exprimant de transformation. Il ne s’agit plus simplement de changement, ni même de cette alternance à laquelle ces Supplétifs férus de beaux costumes se refusent de toutes leurs forces, maniaques de la clôture et pathétiques à force de camper cette posture entropique.

Le vivant est fondamentalement ouverture, remaniement et impermanence. Cette dynamique dure depuis presque quatre milliards d’années, elle produit le monde dans lequel nous sommes inscrits à chaque seconde, tous azimuts. Rien dans l’Univers n’a vocation à être statique, puisque lui-même est en expansion. La crispation mordicus des Supplétifs aux manettes de la pluie et du beau temps n’est-elle pas à mettre en rapport avec le stade anal du développement psychique de l’enfant qui retient dans le schéma freudien ses fèces et se constipe pour s’affirmer face à sa mère ? Cette conception dévoyée du pouvoir, comme verbe et instance, en a trop fait au sud du Sahara depuis la pseudo-fin de la décolonisation. Nous devons avoir l’audace de mettre fin maintenant au désenchantement sans que cela, vouloir sortir de l’ornière, coûte des vies précieuses dans un autre bain de sang. Il est temps de réinitialiser en Afrique la promesse d’émancipation individuelle et collective que visait l’accès à la souveraineté nationale, à l’heure des biotechnologies, du calcul quantique, des algorithmes, de l’impression 3D/4D, de l’IA et du Large Hadron Collider, l’accélérateur de particules au CERN dont les fascinantes expériences vont ouvrir la fenêtre sur une nouvelle physique bientôt, à 14 térawatts de puissance délivrée. Sur fond de changement climatique en cours et irréversible, la liberté, la justice et la prospérité pour tous ne peuvent pas rester que des mots beurrés à la sardine, pour parler comme Sony Labou Tansi, sans un début d’incarnation.

La tourmente dans laquelle les Faustiens sont plongés par leurs choix et les stratégies néolibérales tendant à réduire l’État au rang d’observateur neutre du schmilblick de l’argent, ce dérangement suscité par le Covid-19 devrait nous édifier sur les limites de la Grande Singerie à la tête de laquelle caracole une pseudo-élite urbaine, clique mixte de la jouissance constituée d’arrivistes, subjuguée par Whiteland. « Nous » mis en l’occurrence pour ceux/celles qui pâtirent de l’Histoire faite/écrite par le mâle blanc dominant, les Tiers-patients, ou les Foirés dans la langue poétique de SLT. La maladie, la misère et la mort ne sont pas le patrimoine de l’humanité. Dixit Justine Glass.[1]

[1] Cette « wise woman », Anglaise et auteure de livres sur le monde paranormal, est âgée aujourd’hui de 104 ans…

[1] AOC du mardi 7 avril 2020

Lionel Manga

Écrivain, critique d'art et chroniqueur. Douala, Cameroun

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