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Covid-19, Day 1

Covid-19, Day 1

Assis à la véranda, je jouis de la quiétude enfin revenue après le vacarme  de sa réunion vernaculaire chez ma voisine bamoun et veuve, à grand renfort de décibels, depuis 15 heures cet après-midi. Trois flashes livides espacés de quelques minutes, un peu moins de trois, trouent le ciel bleuâtre virant au noir de la nuit définitivement advenue maintenant. Précipitation en vue dans l’estuaire du Wouri ? Elle serait vraiment bienvenue après l’ardente chaleur de ce premier jour enfui du confinement au 237. Non loin d’ici, mon mouillage usuel a fermé à 18 heures tapantes. Juste eu le temps d’acheter du pain à la boulangerie adjacente qui fait partie du même groupe. Pour le « charger » à côté, chez le vendeur de soya (viande grillée), avec des abats de poulets. C’est là mon régime ordinaire depuis un moment. Impossible de s’assurer une diète moins monotone et davantage lorsqu’on ne dispose pas de revenu, à sous peu 65 balais. Comment en suis-je arrivé là ?

C’est une longue et complexe histoire écrite par le refus inflexible d’obtempérer aux injonctions de la grammaire sociale imposée dans cette franchise vert-rouge-jaune par les Supplétifs qui ont remplacé les anciens maîtres blancs et se sont juste glissés, à la faveur d’une indépendance octroyée, dans leurs privilèges du temps de la colonie. Et cette gent du cru ne se prive guère d’en abuser. Cette année est la soixante deuxième depuis que l’imposture a pris le pouvoir au Cameroun et confisque son destin. Installée, par les calculs et les manœuvres politiques gaullistes, le 18 février 1958 aux commandes du Cameroun, en la personne alors falote d’Ahmadou Ahidjo, obscur agent des P.T.T et député du Nord, succédant à un André Marie Mbida qui devenait encombrant, vu du bureau africain de l’Elysée tenu par Jacques Foccart. Ce joker a tenu le Cameroun dans un gant de fer jusqu’à sa démission qui prit la nation de court, y compris le sérail du régime, le 4 novembre 1982. Lui succède selon les termes de la Constitution d’alors, le Premier ministre, l’effacé Paul Biya. Inconnu du grand public à cette époque et cycliste assidu le dimanche en compagnie de son ami Joseph Fofé, le premier chirurgien-dentiste du Cameroun et gouailleur Ministre des Sports, l’homme à la voix fluette dont le principe mâle se gaussait abondamment dans les salons huppés et les buvettes de quartier, est toujours le Boss du Gomboland, trente sept ans plus tard. Il a niqué toutes les projections avec cette longévité et aura en toute vraisemblance la même fin que Molière.

Pourvue de sa somptueuse robe fauve ornée d’une large réserve blanche sur un flanc et d’une noire plus réduite sur l’autre, je l’ai souvent croisée lors de mes déambulations pédestres dans les parages. Même que j’ai un jour pris une photo d’elle étirée de tout son long et broutant un buisson, debout sur ses pattes arrière. Escortée de ses trois chevreaux d’une précédente portée issus et déjà sevrés de son pis, elle arpentait le secteur en apportant dans ce décor urbain non maîtrisé et perclus de laideur franchement éprouvante certains jours, une touche bucolique, apaisante, qui la sublimait. Seul un mauvais coucheur eut pointé la divagation animale et émis une objection. Le salopard de chauffard qui l’a percutée cet après-midi en est un et plus encore. Blessée et gravide, incapable de se relever toute seule, elle chevrote de douleur dans ce caniveau gorgé d’ordures où le violent choc l’a projetée, en posant sur le monde un regard effaré d’incompréhension. Peu de temps avant que ne se déclenche l’orage de décibels chez la veuve ma voisine, un crissement de pneus signalant un brusque freinage avait déchiré l’air. C’est crève-cœur à mort et la désapprobation générale parmi les badauds qui se sont arrêtés et compatissent. « Ces animaux ne sont pas différents de nous ! » laisse échapper un quidam au crâne 100% dégarni qui s’éloigne à petits pas de cette scène insupportable, révoltante. Comment donc ne pas vouer celui qui a commis cette vilenie aux gémonies, de voir les chevreaux si désemparés ?

Dans une vie antérieure je conduisais souvent, même si je n’ai jamais acheté de voiture. J’aimais être au volant et je roulais d’ailleurs vite. Sans aller toutefois jusqu’à pied au plancher. Pas au point non plus de m’engager dans une voie secondaire et passante, telle une flèche folle. Ainsi pourtant fusent, fusent, fusent les automobilistes et les motos-taxis, à longueur de journée, dans celle bordant mon ermitage, une longue ligne droite qui relie deux majeures. Je peux admettre que ça donne des envies de titiller l’adrénaline. Le risque de collision frontale n’est quand même pas négligeable, considérant sa relative étroitesse. Les bacs à ordures d’Hysacam (Hygiène et Salubrité du Cameroun, entreprise chargée de l’enlèvement des ordures) stationnés-là n’arrangent rien et ils ne suffisent guère à absorber le flux de déchets que les maisonnées des environs produisent au quotidien. Des immondices débordent en conséquence sur une fraction de la chaussée et de ce fait la rétrécissent notablement sur quelques mètres. Un olibrius ignoble vient peut-être bien de priver d’une mère trois tendres chevreaux ayant encore besoin de ses attentions. Le démon de la vitesse planqué dans les accélérateurs se frotte lui les mains, il jubile, satisfait de la tournure entropique de cette interaction homme-animal. Dirais-je qu’à cette échelle de la réalité, le confinement commence sur les chapeaux de roue, par une atteinte inqualifiable à la Beauté nue ? Les Altriciels peuvent parfois se montrer tellement nuls, tellement plus cons qu’une brosse de chiottes…

Dans ma cour se dresse un arbre dont j’ignore le nom. Sa frondaison forme un vaste dais à l’ombre duquel les ‘’attaquants’’ (Sobriquet que se donnent les débrouillards) viennent prendre une courte pause réparatrice avant de repartir au front de la survie. Oblongs et jaunes quand ils sont mûrs, ses fruits aka « mbanga dibango » exercent sur les enfants de l’entour un attrait irrépressible. Au point que l’audace n’hésite même pas à escalader le mur bas pour venir se servir. Par une brèche que des tarés du voisinage y ont malencontreusement ouverte en me cramant la clôture en bambou de Chine à cet endroit avec des braises ardentes, ils s’introduisent aussi dorénavant. De l’extérieur, cette grande baraque ne payant pas de mine semble inhabitée, ouverte aux intrusions et ils n’en mènent pas large lorsque je les prends la main dans le sac. Que faire d’autre de ces mômes du fiasco abyssal de l’imposture que les tancer en douceur, en leur faisant valoir le danger mortel de s’infiltrer dans une propriété comme un maraudeur ? Avant de les laisser repartir évidemment avec une consistante provision de leur passion jaune et oblongue. Je me représente toujours leur soulagement que l’incident n’aille pas plus loin que se faire remonter les bretelles, là où un irascible ameuterait le ciel et la terre à coup sûr. Quelle éducation reçoivent donc ces gosses pour en arriver à s’introduire sans frémir dans une propriété privée ?

Lorsque que cet arbre dont j’ignore le nom perd ses feuilles, s’est aperçu et m’a dit un jour mon fils aîné, fin observateur, cette chute signale une imminente transition climatique. Elle dure quelques jours, de quatre à cinq, voire une semaine entière et couvre alors le sol autour d’un épais tapis aux couleurs automnales, où le rouge et le jaune domine. Equipé d’un balai artisanal adéquat, fabriqué avec des matières premières locales et acheté à Brazzaville, plus efficace que le fichu râteau chinois dont il ne reste que la moitié des dents, les collecter en tas pour les brûler est une tâche à laquelle je me plie plus volontiers qu’hier désormais. Une longue tige à hauteur d’homme et présentant une suffisante section pour la prise manuelle en guise de manche, une boîte de tomate récupérée pour le cerclage des brindilles formant faisceau et voici que l’outil est là. Pourquoi s’encombrer de ferraille chinoise ? À l’aune verte et du bilan carbone, le balai made in Brazza est de loin meilleur. L’idée d’en produire un de ces quatre chemine dans ma caboche. Difficile de faire plus haute intensité de main d’œuvre que ça et aligné avec l’impératif écologique.

La Geneviève qui capte une partie de l’argent de poche des élèves passant par là, sous son parasol installée avec des friandises venues de tous les horizons du libre-échange, peut maintenant et au terme de sa journée d’endurance, restaurer la propreté dans ce périmètre plus aisément qu’avec le désuet chasse-mouche. Finie cette indécente position courbée qui a le vil don de mettre en valeur sa croupe rebondie et suggérer plus encore aux mâles lubriques passant par-là. « C’est trop nyanga ! » s’est-elle esclaffée avec ce grand sourire solaire ouvert sur des dents immaculées, l’ayant étrenné et apprécié son indiscutable ergonomie, il y a quelques jours. Sa commère et vigile Monique, en faction à l’atelier industriel de ferronnerie voisin, va fatalement s’ennuyer ferme à longueur d’heures sans sa compagnie diserte. Aucune raison en effet pour cette accorte Geneviève de venir là s’il n’y pas école. Confinement va rimer avec casse-tête chinois pour la multitude qui survit à son instar au ras du jour, de 100 francs en 100 francs (1 euro vaut 655 francs CFA). Plus il va durer, plus elle devra puiser aussi dans son épargne afin de tenir la distance. Le Covid-19 vient leur compliquer singulièrement l’existence en minant le dehors, base irréductible de la subsistance journalière pour ces myriades urbaines.

Lionel Manga

Écrivain, critique d'art et chroniqueur. Douala, Cameroun

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