Covid-19 : Les cacophonies de la communication gouvernementale…
Deux données essentielles retiennent l’attention cette semaine dans le traitement, par la presse écrite camerounaise, du Covid-19. La première est que la riposte se poursuit bel et bien. Des mesures arrêtées par l’État du Cameroun sont reprises assez régulièrement par les médias et à travers divers supports de communication. Les médias traditionnels, les médias en ligne et les réseaux sociaux numériques ont pris à bras le corps la question du Covid-19 et contribuent, comme ils peuvent, et avec leurs ressources diverses, à barrer la voie à cette pandémie. La seconde donnée, quant à elle, concerne la sortie de certains propriétaires d’organes de presse qui se plaignent d’être « abandonnés » par le gouvernement qui ne fait rien pour les aider à mieux accompagner la communication autour de cette pandémie. La une du journal InfoMatin du 13 avril 2020 exprime parfaitement ce sentiment : « Covid-19 : Dion Ngute abandonne les médias privés. »
Au commencement était la solidarité gouvernementale…
Après la confirmation des premiers cas de Covid-19 au Cameroun, comme il fallait s’y attendre, la stratégie de riposte a été présentée par le Ministre de la Santé publique Manaouda Malachie au cours d’une conférence de presse à laquelle prenaient également part le Ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi et le Ministre de l’Elevage, des pêches et des industries animales, le Dr Taïga. Dans un ton rassurant, les membres du gouvernement avaient fait le point de la situation. Ils avaient expliqué comment les différentes mesures seront appliquées et indiqué des dispositions qui seraient mises en œuvre afin de faire face à cette pandémie qui créait la psychose. Cette conférence de presse conjointe avait permis au gouvernement de se montrer solidaire. La une du quotidien de service public Cameroon Tribune du jeudi 9 avril 2020 avait d’ailleurs annoncé « Le Cameroun en ordre de bataille » contre le coronavirus. Les soldats de première ligne de l’administration avaient été identifiés lors de la conférence de presse : « D’ailleurs, un comité multisectoriel constitué des ministères de la Santé publique, des transports, des Relations extérieures, de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales ainsi que de la Défense et de la Délégation générale à la Sûreté nationale est chargé de la surveillance épidémiologique aux différents points d’entrée aéroportuaires, portuaires, et terrestres du pays ». Au cours de la même conférence de presse, on avait appris « l’arrêt temporaire des importations d’animaux vivants et des produits halieutiques frais ou congelés, ou manufacturés produits dans les pays [abritant] des foyers actifs de la maladie. » Le quotidien national indiquait que la sérénité régnait dans les hôpitaux et que ceux-ci étaient équipés pour prendre en charge les malades du Covid-19. Des spécialistes, à l’instar du Prof François-Xavier Mbopi-Kéou, virologue et microbiologiste, Enseignant à la Faculté de médecine et des sciences biomédicales de l’Université de Yaoundé I rassurait encore les populations car « à ce stade de l’épidémie, il n’y a pas lieu de s’inquiéter » confiait-il au journaliste de Cameroon Tribune »
En ce temps-là aussi, le Dr Manaouda Malachie faisait en mondovision le point quotidien sur l’évolution de la maladie sur le territoire national à travers des tweets instantanés et des points de presse en fin de journée. C’était le rendez-vous Covid-19 à ne pas manquer par les médias. Dans leur rôle d’information, d’éducation et de reliance sociale, certains médias avaient pris fait et cause pour la stratégie de communication gouvernementale en la relayant et en la mimant. En effet, L’Œil du Sahel du 8 avril 2020 faisait savoir que « les médias donnent de la voix contre le covid-19 ». Le journal affirmait que dans la région du Grand-Nord, toutes les rédactions avaient compris la gravité du risque Covid-19 pour la population et les médias en parlaient tous les jours : « On le traite dans tous les genres. Même si jusqu’à ce jour, aucun cas positif n’a été enregistré dans le Grand-nord, la médiatisation autour de la maladie et ses conséquences ainsi que les gestes nécessaires pour y faire face, sont repris en boucle dans chaque médium. ». L’Œil du Sahel faisait dans cet article le tour des trois régions septentrionales et rendait compte des mesures prises par les médias pour accompagner le gouvernement dans cette action de riposte contre le Covid-19. Surtout en cette période de propagation de fake news sur les modes de contamination, sur la fragilité du virus en milieu tropical, et sur les remèdes et potions miracles pouvant aider à la guérison. « Il faut tordre le cou à la désinformation » disait alors Essiakou Elhadj Saliou, le Délégué régional de la communication pour le Nord.
Black-out… et cacophonie gouvernementale
Le rituel était donc connu de tous et attendu chaque fin de journée par des milliers de Camerounais(e)s qui voulaient savoir où en était le pays avec la progression de la pandémie. Depuis lors, le Ministre Manaouda Malachie a dit avoir compris les conseils et les appels des Camerounais(e)s qui ne veulent plus être angoissés par les chiffres qui annoncent le nombre de contaminés, mais qui insistent plutôt pour recevoir les bonnes nouvelles du nombre de personnes guéries, entre autres : « sensible à l’orientation que vous avez souhaité donner à notre communication, je vais donc m’employer à ne publier simplement que des informations sur l’évolution de notre stratégie, les cas graves, les cas guéris, les décès et les mesures barrières » dit-il dans un tweet. Une décision que le quotidien Mutations en date du 15 avril qualifie de « Coronaphobie », le journal veut savoir à qui les chiffres sur le coronavirus font peur pour être autant mystifiés. Le Quotidien Emergence quant à lui estime qu’il s’agit d’un « jeu dangereux du gouvernement camerounais. Le choix politique qui peut avoir des conséquences perverses (…) C’est une grande première mondiale, alors que tous les pays touchés procèdent autrement. C’est donc la preuve que la pandémie a été politisée, au grand dam de l’OMS dont le Directeur général avait justement demandé de ne pas politiser cette maladie. »
De nombreuses critiques s’étaient déjà élevées contre cette approche et bien d’autres méthodes de communication contre le Covid-19. Le quotidien Le Jour du 8 avril 2020 avait publié, sous la plume d’Alphonse Ateba Ndoumou, un ancien journaliste, les quatre erreurs fatales du Cameroun sur la communication contre le Coronavirus. L’auteur du texte expliquait en quoi le Ministre de la Santé publique et le gouvernement du Cameroun faisaient des erreurs dans la gestion de la communication autour du Covid-19. Il s’agissait du mimétisme d’une communication occidentale, de la confusion entre la communication et l’information, du silence du gouvernement face aux fake news et de la non-utilisation des canaux de communication communautaires et multisectoriels. « Plus grave encore dans le cas du Cameroun, le gouvernement, pour avoir laissé la rue le devancer sur la communication relative à certains aspects de la pandémie, pour avoir communiqué lui-même de manière partielle sur certains de ses thèmes de prédilection, et pour avoir enfin envoyé lui-même des signaux contradictoires par le comportement de certains de ses hauts dignitaires violant publiquement les consignes de mise en quarantaine s’est presque totalement décrédibilisé en tant que source d’information et détenteur du lead sur la communication contre le coronavirus » insistait l’auteur de l’article.
Comme il fallait peut-être s’y attendre, après la prise de parole de certains membres du gouvernement, il y eu cette « cacophonie » dans la gestion de communication gouvernementale en période de crise sanitaire. Dans sa livraison allant du 14 au 20 avril 2020, le journal Diapason a tenté d’expliquer pourquoi le Ministre de la santé publique a changé de ton : « Coronavirus : pourquoi Manaouda a changé de ton » titre le journal en pied de une. Les éléments de réponses seraient à prendre dans la correspondance du Secrétaire général des Services du Premier Ministre du 9 avril 2020 dans laquelle Joseph Dion Nguté s’adresse aux membres du gouvernement et rappelle ses collaborateurs à l’ordre dans la communication sur la pandémie du Covid-19. « Il était de bon ton pour le Premier Ministre, Chef du gouvernement, d’attirer l’attention de son équipe gouvernementale sur les dérives d’une cacophonie institutionnelle en matière de crise. Les sons dissonants qui pourraient s’observer contribueraient à semer les germes d’une indiscipline sociale, préjudiciable à la riposte populaire contre la pandémie. » Déclare le Professeur Manassé Aboya Endong dans les colonnes du journal Diapason.
Visiblement, le Premier ministre avait vu juste lorsqu’il avait décidé de faire le rappel à l’ordre de ses troupes. Le bihebdomadaire Repères l’indique dans ce titre qui barre sa une du 13 avril 2020 : « Covid-19/Cacophonie gouvernementale : la colère du PM », le journal précise également en pied de une que « Le covid-19 étale l’incompétence de madeleine Tchuenté ». Repères pense savoir « que le recadrage du Premier ministre vise la Ministre de la Recherche Scientifique et de l’Innovation, qui s’est prise les pieds dans le tapis dans sa communication sur le coronavirus. Mais surtout les Ministres de l’Education de Base (Minedub) et des Enseignements secondaires (Minesec). » En effet ces derniers avaient signé un communiqué conjoint ayant fuité dans les réseaux sociaux et qui annonçait la reprise des cours le 20 avril 2020. Dans ce même communiqué, le PM a rappelé que « le Ministre de la Communication doit être étroitement associé dans la mise en œuvre des initiatives médiatiques conduites par les administrations sectorielles. » Aussi, la note signée du Secrétaire général des Services du Premier Ministre insiste sur l’impératif pour les administrations sectorielles « de solliciter et obtenir formellement du chef du gouvernement les autorisations nécessaires avant de prendre des mesures à portée générale, de manière à éviter la cacophonie observée dans la communication sur cette crise sanitaire. »
Le journal La Nouvelle de mardi 14 avril aborde le sujet de la communication gouvernementale sur le Covid-19 sous le même angle que Repères et titre : « Cacophonie gouvernementale : le Pm recadre les ministres chauves-souris ». Dans son analyse, La Nouvelle affirme que le Premier ministre a fait cette sortie médiatique « dans le souci d’éviter une sorte de diarrhée verbale gouvernementale au risque de heurter la sensibilité Citoyenne, Joseph Dion Nguté invite les membres du gouvernement à faire preuve de retenue et de prudence lorsqu’il s’agit de prononcer oralement ou sur écrit au sujet de cette pandémie». Quant au journal Le Point Info de mardi 14, il titre : « Cacophonie gouvernementale : l’hécatombe ». Ce journal veut montrer la gravité de l’impact que pourrait avoir une mauvaise communication sur cette crise sanitaire.
D’autres thèmes saisissants ont été abordés par la presse au cours de la semaine écoulée. On pourrait citer en premier lieu cette sortie médiatique des « tradipraticiens et sorciers camerounais » qui ont annoncé qu’ils soignent le coronavirus (Essingan); « La résurrection » du président Paul Biya (Mutations) ou encore « La bombe de Kondengui » (Le Jour).
Dorothée B. Ndoumbe
Dorothée B. Ndoumbe enseigne les Sciences et techniques de l'information et de la communication à l'Université de Yaoundé II-Soa (ESSTIC). Elle est également Senior Researcher à The Muntu Institute [African Humanities and Social Sciences]
Commentaire : 1
Avec un peu de professionalisme dans la gestion de cette crise au cameroun, on n’aura pas tant de morts