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LA CONTINUITÉ DE L’ÉCOLE PAR TEMPS DE COVID-19

LA CONTINUITÉ DE L’ÉCOLE PAR TEMPS DE COVID-19

La question de la continuité de l’école par ce temps de crise sanitaire n’est pas nouvelle dans le monde, encore moins au Cameroun. Nous ne pouvons ignorer les nombreux cas d’incidents, de sinistres d’écoles du fait d’une tornade emportant les toitures, le cas des troubles socio-politiques divers (des années 1957 ; la guerre contre Boko haram (2014) et la situation dans le NOSO (2016) qui, dans un passé ancien ou très récent et même au présent, ont provoqué la dure fermeture des écoles. S’impose alors la nécessité de veiller à la continuité de l’école non plus à une échelle locale, régionale, mais cette fois à l’échelle nationale et même internationale. C’est le cas par ce temps de crise sanitaire provoquée par le covid-19. L’obligation pour l’Etat d’assurer une fois de plus son devoir régalien s’est fait sentir. La loi fondamentale de la République du Cameroun la consacre en ces termes : « L’État assure à l’enfant le droit à l’instruction. L’enseignement primaire est obligatoire. L’organisation et le contrôle de l’enseignement à tous les degrés sont des devoirs impérieux de l’État » (Assemblée Nationale du Cameroun, 2008). Cette disposition campe notre réflexion car, la pandémie du Covid-19 est un cas de force majeure qui a déclenché dans l’urgence (l’impréparation) un ensemble de mesures gouvernementales dont certaines sont contraires aux principes sus cités, qui découlent de la loi fondamentale. Pour rester légaliste, L’État a pris des mesures assurant tant bien que mal la continuité de l’école qui passe par la continuité pédagogique et évite l’année blanche. Toutefois, ces mesures ont un effet mécanique sur les valeurs d’équité, d’éthique et de bienséance qui fondent l’action de l’État en matière d’éducation au Cameroun, face aux moyens et méthodes mis en œuvre pour assurer et assumer cette continuité pédagogique. Il est intéressant de se pencher sur le projet de « l’école pour tous », application du principe de l’accès équitable à l’école par temps de Covid-19. 

La continuité de l’école : équité/égalité pour tous ?

La continuité de l’école signifie le respect et la pratique de l’éducation inclusive qui nous interpelle tous et toutes. « Dans la littérature, trois catégories d’inclusion sont identifiées : (1) celles dues aux causes biologiques ; (2) celles dues aux difficultés d’apprentissages ; (3) celles causées par des situations défavorisées créées par des contextes socioculturels comme les barrières linguistiques, les orphelins, les différents groupes ethniques, les immigrants, les albinos, les pygmées, les personnes déplacées, les groupes religieux, dans une perspective plus large comme l’a souligné le Cadre de Salamanque. » (Mungah Shalo TCHOMBE, 2017). Ces contraintes imposent d’insister sur les effets de rupture et de continuité perçus à juste titre dans notre ère de l’innovation comme une sorte d’intrusion ou d’obstacle à l’intégration des TIC à l’école. Se révèlent alors des situations nouvelles autorisant d’envisager la continuité de l’école face à cette pandémie.

Quelles sont les conséquences, sur l’ensemble des acteurs et bénéficiaires de l’école, d’un recours aux TIC ? Son adoption subite et improvisée comme solution miracle à la mise en œuvre d’une volonté politique d’assurer la continuité de l’école a-t-elle tenu compte de l’obligation d’assumer l’équité de l’accès à l’école pour tous et toutes par temps de Covid-19 ? Cette continuité de l’école telle qu’actée par l’État peut-elle permettre, par exemple à la date du 1er juin envisagée pour le retour en classe, d’estimer que l’ensemble des écoles pourraient poursuivre leurs activités après le passage par les différents dispositifs de suppléance (CRTV, WhatsApp, Google Classroom, plate-forme e-learning) ? Pour une reprise progressive et honnête des cours dans chaque niveau et ordre d’enseignement, on peut s’inquiéter de l’effet des niveaux d’avancement disparates des uns des autres sur la continuité de l’école. La multiplicité des solutions politiques et techniques inachevées produit des effets pervers et pourrait aboutir à l’aggravation de l’exclusion à l’école avec la validation de fait du principe de l’iniquité voir de l’injustice à l’école.

L’engagement de l’État pour la continuité de l’école

La continuité de l’école n’est ni fortuite, ni gratuite. En temps de crise, l’utile engagement de l’État qui en assure la préparation et la participation permet des opérations préalables comme :

  • L’évaluation minutieuse et sans complaisance (par une étude de faisabilité) de la situation à partir de laquelle l’engagement est pris ; ceci pour assurer une continuité effective et efficace dans les activités à mettre en œuvre, dans les actions à conduire et dans les tâches opérationnelles à exécuter ;
  • L’identification des besoins et ressources nécessaires pour une mise à niveau de l’ensemble du public cible ; ceux sans quoi tout ne serait que dangereux simulacre ;
  • La remédiation qui va permettre d’amener les plus défavorisé(e)s à atteindre le niveau minimum nécessaire pour accéder à la solution adoptée ; ce qui garantit l’évitement d’une continuité non inclusive engendrant une école à vitesses multiples et des frustrations.

Par ces temps de Covid-19, une telle étude préalable de faisabilité a-t-elle été faite, conduisant au choix de solutions réduisant de façon significative la possibilité pour des bénéficiaires d’être et/ou de se sentir discriminé(e)s ? Cette phase de préparation permet d’assurer plus d’adhésion, plus d’équité et plus de justice dans l’application des mesures adoptées pour garantir la continuité de l’école. Sans elle, un engagement pris pour la continuité de l’école ne pourrait permettre son appropriation par tous et toutes et en assurer la réussite.    

Même dans l’urgence, le difficile respect de la phase de préparation de la mise en œuvre de la décision d’assurer la continuité de l’école impose de partir de sa finalité. On doit toujours expliquer la nécessité de la continuité de l’école elle-même quand, dans un contexte de crise comme celle du Covid-19, la participation à la mise en place de cette continuité souffre du manque d’une bonne préparation. Elle souligne alors le mérite des cohérences et des synergies réussies dans une riposte exposée aux risques importants de dysfonctionnements.

La volonté d’assurer la continuité face à l’incapacité involontaire et coupable de l’assumer.

Le recours, par exemple, à la télé-éducation et au e-learning comme solutions méritent d’être scrutées en profondeur pour apprécier à sa juste valeur ce qui pourrait en être tiré comme résultats. Il faut se préparer à envisager des solutions complémentaires pour rétablir l’ensemble des bénéficiaires de l’école dans leurs droits cités plus haut. Engagées pour parer au plus pressé, les quatre modalités par lesquelles la continuité pédagogique est en train de se déployer sur le terrain présentent des limites énormes qu’il convient de prendre correctement en main au fur et à mesure des possibilités :

– le taux de couverture du territoire en énergie électrique (environ 62% en 2017 avec un Indice de Satisfaction Clientèle 67% (ENEO, 2018);[1]

– le taux de couverture de la télévision nationale sur l’ensemble du territoire ;

– le taux d’accès à Internet des populations camerounaises (35,64% en 2017)[2];

– la taux d’accessibilité des élèves aux équipements nécessaires (téléviseur, téléphone androïd, ordinateur) en plus en confinement à domicile ;

– la spécificité des différents ordres d’enseignement qui n’ont pas les mêmes facilités de déploiement à distance sur le terrain. (cas des téléTP et autre TPvirtuel en formation professionnelle).

– l’inégalité des moyens de gestion du confinement et de maitrise de ses éventuels effets pervers.  

Autant l’enseignement général n’a besoin que d’un enseignant, d’une salle de classe, d’un tableau et de la craie ; autant l’enseignement technique et bien plus, la formation professionnelle, requiert ateliers, laboratoires, des machines, des outils, de bonnes pratiques, d’efficaces complicités, pour une pratique dévouée et enthousiasmante du métier par temps d’urgence.

Continuité de l’école : Fiction ou réalité ?

Les capacités sont dépassées et les efforts de mise en continuité transforment les populations concernées en laissées-pour-compte. Par exemple, malgré des efforts, méritoires, le Collège Jean TABI, (cf. Journal CRTV) qui a mis sur pied une solution par le E-learning pour assurer la continuité de l’école en son sein, n’a pu satisfaire tout le monde. Peut-il de nos jours être fier des chiffres qu’il a lui-même rendus publics quand, 1200 élèves sur les 1400 inscrits, soit 200 élèves n’ont pas pris part aux évaluations, soit 14,28% perdus en ligne et victime d’un ajustement limité ou insuffisant. En quoi et pourquoi les 200 autres élèves sont-ils moins leurs élèves ? Qu’ont-ils/elles fait pour se retrouver exclu(e)s des solutions adoptées en urgence dans l’établissement pour assurer la continuité de l’école ? Nous sommes pourtant là en plein cœur de la capitale, dans une école qui dispose des moyens. Si nous pouvions avoir de telles données sur un nombre significatif d’établissements, on observerait que si le 1er dans le classement de l’OBC (Office du Baccalauréat du Cameroun) réalise un tel score de victimes, les taux sont plus graves vers le bas du tableau de classement.

La continuité de l’école doit résulter de « la continuité pédagogique qui est destinée à s’assurer que les élèves poursuivent des activités scolaires leur permettant de progresser dans leurs apprentissages. Les activités proposées s’inscrivent naturellement dans le prolongement de ce qui s’est fait en classe auparavant et/ou dans une préparation possible de ce qui sera fait dès le retour de l’école à la normale. Il convient que le travail demandé soit régulier. Il doit pouvoir être réalisé dans un temps adapté, indiqué explicitement. Le temps consacré à chaque domaine d’enseignement doit être corrélé aux horaires habituels. » (MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE, 2020). Il est évident que dans notre cas les choses se sont faites très différemment.

Compte tenu d’une telle situation, comment gérer cet écart qui s’est créé entre les élèves et leurs écoles du fait de l’impossibilité d’avoir les mêmes chances de bénéficier de la continuité pédagogique par temps de Covid-19 ?

1 – Sans délai, au niveau local, dès la reprise des cours, que chaque école fasse une évaluation qui permette d’avoir le niveau des élèves dans chaque matière pour avoir un véritable état des lieux pédagogique ;

2 – Que les services d’inspection pédagogique locales arrêtent des mesures efficaces avec un plan chronologique de remédiation pour mettre les élèves à niveau sous la contrainte d’une date butoir fixée et d’un niveau de programme à atteindre par le gouvernement ;

3- Qu’à compter de cette date butoir, un calendrier final conséquent du reste de l’année scolaire soit publié.

Ceci éviterait le développement, tant chez les parents que les élèves, du sentiment d’exclusion renforcé par celui des inégalités devant l’échec, le décrochage scolaire, le marasme éducatif catastrophique. Sur ce point, si la continuité de l’école par temps de Covid-19 au Cameroun a pu être une réalité pour certains, les dures réalités de l’urgence en ont fait une fiction pour d’autres.

Bibliographie

Assemblée Nationale du Cameroun. (2008, AVRIL 14). Loi n°96/06 du 18 janvier 1996; Portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008. Récupéré sur http://www.assnat.cm/images/La_Constitution.pdf

ENEO, C. (2018). Pas à pas ENEO transforme le service électrique. Yaoundé.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE. (2020). COVID-19 – Continuité pédagogique; Protocole à destination des professeurs du 1er degré devant assurer une continuité pédagogique. Récupéré sur https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/2020-03/continuit-p-dagogique—protocole-destination-des-professeurs-1er-degr–52029.pdf

Mungah Shalo Tchombe, T. (2017). Analyse de l’éducation inclusive au Cameroun. Yaoundé: CENTRE FOR CHILD & FAMILY DEVELOPMENT & EDUCATION /UNESCO CHAIR.

[1] https://eneocameroon.cm/images/pdf/rapport-eneo-anne-2018.pdf.

[2] https://www.journalducameroun.com/cameroun-3564-de-taux-de-penetration-de-linternet-rapport/

Pierre-Célestin Taptue

Chercheur à OOCISCA & Laboratoire BONHEURS - EA 7517 ; CY Cergy Paris Université. Program Director à The Muntu Institute. Enseignant associé à l'ESSTIC (Université de Yaoundé II-Soa)

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