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La désinformation sur le COVID-19 au Cameroun : des fake news à l’insécurité

La désinformation sur le COVID-19 au Cameroun : des fake news à l’insécurité

Partie de la ville de Wuhan en Chine, l’affection au Coronavirus s’est propagée à une vitesse fulgurante, semant à son passage psychose et désolation à travers le monde. Les statistiques officielles font état à ce jour, de près de 1.712.674 personnes atteintes par la maladie, 103.796 décédées, et 388.910 guéries[1]. Ces chiffres suscitent beaucoup d’inquiétude au regard, de leur expansion croissante ; c’est pourquoi, selon l’épidémiologiste Marc Lipsitch, « 40 à 70 % de l’humanité sera infectée [2]» par cette pandémie. En d’autres termes, le COVID 19 fait planer l’ombre d’une contamination généralisée sur l’immense majorité des pays du monde. Dans un tel contexte de crise sanitaire, les populations sont à l’affût de l’information. Elles souhaitent-être mise au courant, aussi bien des symptômes de la maladie, de ses modes de prévention et de traitement, que de sa propagation à travers le monde. Cela au moyen des interviews, des reportages, des enquêtes, des conférences de presse, des données statistiques, des comptes rendus régulièrement diffusés via les médias, par les autorités gouvernementales, les professionnels du domaine sanitaire.  Cependant, l’assouvissement de cette soif d’informations et de connaissances, des populations conduit malheureusement celles-ci, à faire face à un phénomène de désinformation nourrit par une prolifération des fake news[3], ayant fait des réseaux sociaux et certains médias leur lit. Du coup, le Cameroun en proie à la pandémie du Coronavirus doit pouvoir combattre cette maladie, en inscrivant au chapitre de ses priorités, certes un dispositif sanitaire d’éradication, mais en même temps, une stratégie de communication efficace, limitant l’expansion des fausses nouvelles susceptibles d’aggraver la situation et d’exposer d’avantage, le pays à la menace d’une insécurité multiforme.

Cette contribution s’attèlera à questionner, dans un contexte de vulnérabilité du public à l’égard de la pléthore d’informations au sujet du Covid 19 : Quelles sont les différentes facettes des fausses informations relayées au sujet de la pandémie du Coronavirus ? Que peut-il en résulter en termes de manifestation auprès des populations ? A quel risque ces fake news exposent-ils le pays et sa population toute entière ? 

L’info-pollution médiatique sur le Coronavirus 

Que ce soit à travers les médias traditionnels ou alors les réseaux sociaux et diverses plateformes d’informations, les nouvelles relatives à la crise sanitaire au Covid 19, qui secoue le monde en ce moment fusent de partout. C’est dire que les mass médias ne ménagent aucun effort afin de mettre les populations au courant des informations portant sur la pandémie. Ainsi, se créée une info-pollution[4]. Toutefois, parmi cette multitude de sources d’informations, nombreuses d’entre elles portent la marque de fausses nouvelles et viennent ainsi rendre difficile la communication autour de la maladie. En ce sens où, pullulent au sein des outils modernes de communication tel que Facebook, WhatsApp, Twitter entre autres, des enregistrements sonores, des directes, des notes d’information, des communiqués parfois totalement contraires aux directives édictées par le gouvernement et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

A ce sujet, plusieurs cas de fausses nouvelles alimentent le discours autour du Covid 19. Ainsi, en est-il d’abord, des informations erronées sur la limitation de la contamination, démenties par l’OMS[5] tel que : la consommation des boissons alcoolisées, « La pulvérisation d’alcool ou de chlore sur tout le corps », « Manger de l’ail [pour] prévenir l’infection », « S’exposer au soleil ou à des températures supérieures à 25 °C », la vulnérabilité du virus sous « les climats chauds ».

Ensuite, des fausses nouvelles au sujet du décès du Président de la République du Cameroun des suites du Covid 19. Enfin, des fausses informations annonçant, la préparation d’un « Décret de confinement total des populations camerounaises », du faux Arrêté conjointement signé par les Ministres en charge des Enseignements Secondaires et de l’Education de Base, relatif à la modification du « calendrier de de l’année scolaire 2019/2020 en République du Cameroun », et fixant la reprise des classes au 20 avril 2020.

Cela occasionne un climat de désinformation qui conduit les populations dans le doute et l’incertitude. Puisque, l’avènement des médiasphères[6] caractérisé par l’inter connectivité, l’interactivité, et l’instantanéité induit chez bon nombre d’internautes, une confiance aveugle aux réseaux sociaux : « je l’ai lu sur les réseaux sociaux ». Dès lors, les informations erronées diffusées çà et là, sont prises pour argent comptant à cause, dans un premier temps d’une méconnaissance, de l’auditoire ou du lectorat des éléments de crédibilités ou non d’une information. A cause, dans un second temps, d’une méconnaissance des critères d’évaluation d’une information prise sur internet, qui suppose au préalable l’analyse de « la fiabilité de la source, la qualité du contenu, la cohérence de l’organisation, la pertinence de la présentation.[7] » Ainsi, la pandémie du Coronavirus relève d’une crise sanitaire, par conséquent les informations relatives au domaine de la santé constituent des données déterminantes. Car, la vie des êtres humains, la survie de la population dans sa globalité en dépend. C’est la raison pour laquelle, considéré comme « le canal qui voit le plus circuler de fakes news, depuis le début de l’épidémie du coronavirus », les modalités de transfert d’un message via WhatsApp ont été limitées[8].  

Les fake news et le comportement des citoyens à l’ère du Covid 19  

La communication repose sur un principe essentiel à partir duquel, les échanges d’informations doivent s’inscrire : la sacralité des faits. Or, lorsque ce principe cède la place à la rumeur, à la désinformation, en vue d’une recherche effrénée du scoop et du sensationnel, l’information se vide de toute sa substance première. Ainsi, celle-ci devient alors, « une information spectacle [9]» (Valentin Nga Ndongo, 1993) où, la mise en scène prend le dessus sur la réalité, la vérité se dissout dans le mensonge. Dans cette logique, la déferlante de la rumeur, des préjugés alimentés autour du Coronavirus par le biais des médias sociaux constitue une illusion d’optique sur la représentation du rôle social des médias en temps de crise. En ce sens que, les campagnes de communication en pareille circonstances visent, à rassurer, à éduquer et même à prévenir les populations des effets dévastateurs du Covid 19, et non pas à envenimer la situation en suscitant la confusion.

Ainsi, ces fake news peuvent-être perçus comme une ressource politique, en vue de véhiculer, une vision du monde au sein des sociétés modernes. C’est dire que la diffusion des fausses nouvelles, se constitue en un « agir communicationnel »[10]. (Jürgen Habermas, 1981) Autrement dit, le discours des fake se compose d’échanges et d’actes de communication, participant d’une stratégie d’intercompréhension et surtout de manipulation de l’opinion, selon une certaine appréciation de l’espace public. Par conséquent, les acteurs politiques, les leaders d’opinion, les personnels médicaux sanitaires, les opérateurs économiques entre autres, pourraient recourir aux fake news afin d’influencer l’opinion publique, sur l’orientation qu’ils souhaitent voir donner, au sujet de la gestion de la pandémie du Covid 19.  

Est-il dès lors étonnant d’observer, qu’à la suite des fausses informations glanées ici et là au sujet de la pandémie du Coronavirus, les populations camerounaises brillent par une inconscience des dangers qu’elles encourent ? On n’a qu’à observer l’insouciance comportementale des populations, qui dédaignent les mesures d’hygiène et de prévention de la maladie, pour comprendre, comment celles-ci sont sujettes à une manipulation due aux rumeurs. C’est le cas de la violation flagrante des mesures de distanciation sociale d’un mètre. Dans certains lieux publics comme les marchés, les arrêts taxi, les lieux de culte etc. les individus se frottent allègrement. Alors même que la contamination du virus se fait par un simple contact. C’est la preuve de la virulence du virus qui impose une vigilance afin de ne pas être contaminé.

Pour ce qui est du traitement, aucun protocole n’est encore officiellement rendu public. Par conséquent, face à ce défaut d’unanimité des scientifiques, certaines personnes diffusent sans preuves évidentes des informations sur les vertus supposées de la chloroquine. D’autres par contre, vantent les merveilles de la tradi-thérapie africaine qui a pignon sur rue en ces temps « d’incertitude de la médecine » moderne. Des décoctions aux mixtures de plantes naturelles et d’écorces d’arbres tout-y est conseillés afin, soit de guérir ou de prévenir l’affection au Covid 19. Dans cet amalgame et cette confusion informationnelle, le salut pour certains réside à l’invocation de la toute-puissance divine. Car, certains y voient en cette pandémie le châtiment divin qui incite à la repentance des pécheurs. 

Quel est le risque auquel s’expose les camerounais en étant inconscient de la menace de la pandémie ?

Le risque de la désinformation en temps de Covid 19 au Cameroun : l’insécurité

En période de crise, sécuritaire, alimentaire, voire sanitaire, la moindre négligence, la moindre inattention peut être fatale pour le pays concerné. Dans cette perspective, la responsabilité des pouvoirs publics camerounais et des populations doit-être de mise, dans la croisade contre la pandémie du Coronavirus. Dès lors que, les attitudes de non-respect par les populations, des mesures prises par le gouvernement au profit de la rumeur et des préjugés, peuvent conduire à la survenance d’un climat d’insécurité grave. C’est-à-dire que la menace de la maladie peut faire déboucher à d’autres formes de crises dont le Cameroun payera les frais.

A cet effet, au plan sanitaire, la pandémie du Covid 19 pourrait exposer le pays à une décimation sans précédent de sa population, par une multiplication exponentielle du nombre de cas d’infection, et partant de décès. Cette situation pourra conduire à une insécurité sanitaire sérieuse, car les structures médicaux sanitaires pourront largement dépasser leur capacité d’accueil.

Du point de vue social, l’augmentation du nombre de malades au Covid 19 pourrait amener, les pouvoirs publics à prescrire un durcissement des mesures de confinement. Et étant entendu qu’au Cameroun, le gouvernement ne met pas à la disposition des populations, des mesures d’accompagnement afin de respecter le confinement, il est à craindre que, la pandémie au Covid 19 expose les citoyens à une explosion sans précédent des maux comme la faim, le chômage, le grand banditisme, etc. 

Sous l’angle économique, le pays fait face simultanément à plusieurs fronts, le front de la lutte contre Boko Haram, celui de la crise dite anglophone et maintenant celui du Coronavirus. Ainsi, toutes ces crises fragilisent le tissu économique national, du coup le confinement qu’impose la crise du Covid 19 et la fermeture des frontières contribuent à accentuer la fragilité économique du pays. Ce qui exposerait celui-ci à des grèves de toute sorte, rendant difficile la vie politique. Pour preuve, la grève projetée le 06 avril 2020 par les syndicats des transporteurs terrestres du Cameroun, a été suspendue in extremis, à cause du consensus trouvé entre d’une part, le gouvernement et d’autre part les syndicats des transporteurs terrestres.

Au demeurant, la désinformation au sujet du Coronavirus représente une menace sur la sécurité du Cameroun. Si bien que pour Viviane Ondoua « la gestion du Coronavirus est un scandale. Un scandale qui va entrainer d’autres scandales [11]» à coup sûr. En clair, il est temps que les discours des pouvoirs publics et ceux des leaders d’opinion, autour du Covid 19 convergent vers une synergie d’action, afin de barrer la route à cette pandémie, capable de plonger, les pays africains et le Cameroun dans chaos.

[1] Coronavirus COVID-19 Global Cases by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE) at Johns Hopk [En ligne] 2020. Disponible sur : https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6 (Consulté le 11/04/2020).

[2] Julie Kern. « Covid-19 : le virus pourrait infecter « jusqu’à 70 % de la population mondiale », selon ce chercheur d’Harvard » [En ligne], Futura Santé, mars 2020. Disponible sur : https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-covid-19-virus-pourrait-infecter-jusqua-70-population-mondiale-selon-ce-chercheur-harvard-79760/ (Consulté le 01/04/2020)

[3]  Le Collins dictionary, qui a fait de ce terme son mot de l’année 2017, définit les fake news comme « une information fausse, souvent sensationnelle, diffusée sous le couvert de reportages »

Portail Presse et Médias. Fake news, infox et fausses nouvelles [En ligne]. 2020. BnF, Disponible sur : https://bnf.libguides.com/presse_medias/fake_news_infox (Consulté le 01/04/2020)

[4] « Le terme pollution informationnelle ou info-pollution désigne l’ensemble des nuisances liées à l’abondance d’information peu enrichissante ou inutile »

Toque, Aurelie. La curation remède à l’obésité ? [En ligne]. 2015. Disponible sur :

https : // sicd1.ujf-grenoble.fr/-Les-ateliers  

[5]  Nouveau coronavirus (2019-nCoV) : conseils au grand public – En finir avec les idées reçues [En ligne à l’adresse]  https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/advice-for-public/myth-busters  (Page consulté le 30/03/2020)

[6] Louise Merzeau, “Ceci ne tuera pas cela”, Les Cahiers de médiologie N°6, 1998, p. 27-39

[7] Alexandre Serres, Evaluation de l’information : Le défi de la formation. Bulletin des bibliothèques de France, n°6, 2005, p.3

[8] Xavier Demagny. Covid-19 : WhatsApp limite les transferts de messages pour essayer de lutter contre les fake news. [En ligne]. 07/04/2020. France Inter, Disponible sur :

https://www.franceinter.fr/societe/covid-19-whatsapp-limite-les-transferts-de-messages-pour-essayer-de-lutter-contre-les-fake-news  (Consulté le 11/04/2020)

[9] L.C. Boyomo-Assala. V. Nga Ndongo (1993). Médias au Cameroun. Mythes et délires d’une société en crise. In: Communication. Information Médias Théories, volume 18 n°2, automne 1998. pp. 213-220 ;

[10] Jürgen Habermas. Théorie de l’agir communicationnel. Tome 1, trad. de l’allemand par J.-M. Ferry, Paris, Fayard, 1987.

[11] Pascal Ango’o. Pr Viviane Ondoua : « La gestion du Coronavirus est un scandale qui va entraîner d’autres scandales » [En ligne], Actu du Cameroun, 2020. Disponible sur : https://actucameroun.com/2020/03/30/pr-viviane-ondoua-la-gestion-du-coronavirus-est-un-scandale-qui-va-entrainer-dautres-scandales/  (Consulté le 31/03/2020)

 

 

 

Francis Ebanda

Chercheur en Sciences de l'Information et de la Communication, The Muntu Institute.

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