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Le Commandant Courageux

Le Commandant Courageux

Hissé de l’abîme où il repose par le récital polyphonique de la menue gent ailé, l’Embrasé Irradiant va sous peu reprendre du service pour éclairer le jour du Seigneur. Dixit le ciel pâlissant et trace la pétarade grêle d’une moto, tandis que le nouveau vigile en service chez un voisin, de l’autre côté de la rue, rivalise de sa flûte artisanale avec les joyeux trilles des oiseaux perchés dans les frondaisons aux alentours. Ne sont-ils pas dans le vaste domaine du vivant des lanceurs d’alerte ? C’est d’avoir constaté la disparition de ce fragile chœur que Rachel Carlson commettra en 1961 Silent Spring, livre culte de l’écologisme. Me dirigeant vers mon mouillage la semaine dernière et mon pain chargé avec du foie de volaille, en fin d’après-midi, témoin je fus alors d’un évènement rarissime, hautement improbable. Collision insonore entre un de ces solistes à plumes fusant en travers de la chaussée et une polluante Chinoise à deux roues allant son chemin perpendiculaire. Tout à sa survie compliquée par ces circonstances virales et aux urgences le pressant, le brave débrouillard, dessus juché, ne s’en est même pas aperçu et a continué sur sa lancée, laissant sur le carreau un petit oiseau blessé. Je l’ai ramassé et posé délicatement au pied d’un mur, à l’abri du flux de passants certes moins dense depuis le début du Confinement. Aura-t-il survécu ?

Au registre des illustrations l’agrémentant et fournissant à bon escient des indices visuels au précoce fouineur, le gros et lourd dictionnaire Larousse qui accompagna mes premiers pas dans le royaume luxuriant de la lecture comportait une page dédiée à la marine de guerre et à laquelle je me rendais souvent. Cuirassé, destroyer, frégate, corvette, croiseur, porte-avion, sous-marin, etc., ce lexique et ces représentations embarquèrent mon imagination fertile dans des aventures palpitantes. De tous ces bâtiments, le porte-avions était le plus fascinant et il me revient à l’instant même l’USS Forrestal, ce fleuron de la 7ème flotte américaine ultra médiatisé par le Pentagone. Mis à l’eau en 1954 et entré en service l’année d’après, le 1er Octobre, il fut déployé alors sur divers théâtres de l’absurde guerre froide, y compris le Vietnam.

Féru d’aviation et à l’époque je me voyais rendu grand en « pilote de ligne » comme on disait avec un air entendu qui soulignait le prestige attaché alors à ce métier neuf encore, c’était juste logique que ma candide curiosité soit captée par cette flottante énormité. Avec le parc aérien, les milliers de marins vivant à son bord, à quoi il convient de rajouter l’escorte dissuasive le flanquant de part et d’autre, rien sur ce palier martial n’est, en nos jours, plus emblématique de la masse as such et de la puissance de feu d’une armée qu’un porte-avions. Banale quand l’atmosphère est en mode RAS et même propre à ce confinement dans un espace limité, la promiscuité y vire plus que fissa à la bombe pathologique si un agent infectieux vient à infiltrer cette communauté de destin très particulière, où les corps comptent dans l’activité quotidienne et se frottent les uns aux autres sans barguigner sur les pontons, dans la salle des machines et les couloirs, au réfectoire, partout le contact est de mise quasiment dans cet environnement clos.

Le Covid-19 s’est ainsi invité parmi l’équipage de l’USS Theodore Roosevelt, porte-avions nucléaire. Las de voir que la chaîne de commandement ne régissait pas à ses signaux faibles, son commandant s’est fendu d’une lettre qui a fini dans les colonnes de la presse américaine. Prise ouvertement à partie par l’opinion publique indignée, et les Yankees savent y faire sur le registre admonestation du gouvernement, la hiérarchie s’est alors enfin bougée et les évacuations que le capitaine Brett Crozier réclamait ont commencé. Furax, se sentant humiliée d’être jetée en pâture comme ça et prétextant une grave entorse à la procédure canonique en la matière, l’Administration a débarqué le courageux capitaine de l’USS Theodore Roosevelt. Pour se venger du bashing, et c’est d’une infâme mesquinerie. Qu’un arrière petit-fils du dit Théodore Roosevelt ne s’est d’ailleurs pas privé de dénoncer dans une tribune acide publiée par le New-York Times et en attribuant dans la foulée au commandant déchu le très américain titre de héros. L’homme peut dormir tranquille sur ses deux oreilles et dans son bled, les gens s’inclinent avec respect, lèvent leur casquette très américaine en le croisant dans la rue. Il a fait le bon choix : celui de sacrifier une belle carrière pour sauver ses hommes, en sortant des clous. Parce qu’une seule vie vaut plus que de transitoires honneurs militaires, infiniment plus dans la balance.

Lors d’un de ses derniers gestes publics à Yaoundé et affaibli déjà par la maladie, feu Fabien Eboussi Boulaga déplorait en affichant une amertume lourde de sens, l’absence sous nos cieux de « spectacle de courage » et il pointait les effets délétères de cette carence. Qui mieux qu’un défroqué peut se tenir du haut de son existence sans compromis avec l’iniquité pour indexer celle-ci quand elle accède à l’apex de sa splendeur ? Il fallait avoir de la trempe pour garder sa superbe et tenir dans la tornade de quolibets qui a certainement fustigé sa décision naguère de quitter l’ordre des Jésuites et marcher vers lui, de poursuivre sa route seul. Quoi ? Comment ? Toi ? La mascotte de notre famille ? Qu’est-ce qui te prends ? Tu es fou ? Les autres font comment ? Ça comptait sur sa soumission et son silence  pour arriver en première classe au Ciel absous de leurs péchés.

Massive et diffuse à la fois, la veulerie a pu faire son lit au long cours sans rencontrer d’embûches particulières au 237, depuis les morts brutales de Ruben Um Nyobé, Félix Roland Moumié, Osende Afana, Ernest Ouandié et leurs camarades de combat, femmes et hommes, tombé(e)s debout pour une cause que cette légion mixte du courage savait juste. L’inversion a si bien pris ses quartiers que le courage est classé tare en « terre chérie » vert-rouge-jaune. « Est-ce que c’est ça qu’on mange ? » ironise telle mère les mains vissées aux hanches, persiflera tel père toisant l’impudent, grince telle tante, ricanera tel oncle, gémit tel cousin, grommellera telle cousine, se scandalise tel frère ou telle sœur. Le Sadrak ne m’a certes pas confié à ce jour qu’il ait jamais échangé encore quelque poésie contre un bar braisé et les alokos, qui vont avec, à la rue de la joie de Deido, ni bu non plus une bière dans un quelconque bar, quand il avait soif et les poches vides.

Le diagnostic du philosophe au soir de sa vie parvenu est d’autant plus cinglant et dramatique que la société camerounaise contemporaine est majoritairement chrétienne, ou se réclame volontiers de cette religion orientale, on va dire. Qu’est-ce donc que l’épopée du Christ sinon qu’une de courage et de lucidité ? Seul m’importe ici à ce titre le récit servi aux ouailles pour nourrir leur foi/adhésion et non la véracité de l’existence historique du personnage, ou pas. La remarque de Fabien Eboussi insinuerait ainsi en creux que les chrétiens du cru ne pigent que dalle à cette mystique du Crucifié. Feu Meinrad Hebga, serviteur de Jésus, n’en pensait pas moins qui s’ouvrit à moi de cela lors d’une conversation privée, en 1999. Le célèbre exorciste jésuite estimait, non moins amer aussi, que ses ouailles barbotaient à la SIL encore. Soit au niveau le plus élémentaire de l’appropriation spirituelle du mythe christique.

Invité aux Ateliers de la pensée en Novembre 2017, j’ai pu observer, non sans un certain amusement, comment cette vaste et brillante conversation en haute fréquence et arguant du vivant, s’ingéniait à éviter le thème de Dieu. Jai même voulu amener le débat sur ce terrain lors de la séance animée par Ousseinou Wade à l’Université Cheikh Anta Diop. Mais le modérateur s’est débrouillé pour botter ma subversive intervention en touche, genre hors champ. Quid de la pensée décoloniale et sa pertinence si la monothéisation de l’Afrique n’est pas questionnée ? C’est par là, clef de voûte du schmilblick, que toute déconstruction émancipatoire devrait commencer, me semble-t-il et ça ne se fait pas. Je m’étonne. La pastorale de l’Eglise catholique et romaine a prêché de ce côté du monde la soumission à l’ordre politique établi, faisant valoir tous les dimanches que c’est la volonté de Dieu qu’il en soit ainsi. Le pasteur qui les entretient en ce moment aura-il le toupet de dire ça si le Covid-19 venait à flamber dans cette communauté dont le lieu de prières est adjacent à mon ermitage ? À croire que la prescription de distanciation sociale afin de contrer la propagation de l’épidémie, ne les concerne guère. Papa God veille…

Lionel Manga

Écrivain, critique d'art et chroniqueur. Douala, Cameroun

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