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Masques pour masques

Masques pour masques

Là où le journalisme parle d’économie informelle, à l’OCDE, ils l’appellent l’économie non observée, et ici pour faire bref on dira ENO. J’ajouterai juste que « non observée » est plus objectif que cet « informel » banal. Vue ainsi, elle correspond à ce qu’est en cosmologie la matière noire, on sait qu’elle existe parce que sans cette hypothèse, le Modèle Standard décrivant l’Univers s’effondre comme un vulgaire château de cartes, mais elle persiste à échapper aux instruments d’observation. Il faut des masques ? Ce ne sont pas les ateliers de couture qui manquent en ENO. Depuis quelques jours, ils sont à pied d’œuvre. Un morceau de tissu froncé sur les bords, deux élastiques pour tenir ça aux oreilles et voilà le tour joué. Quand en Asie, c’est le même objet fabriqué en série dans une usine que des millions de gens arborent dans la rue, uniformité vaguement totalitaire, en « terre chérie », il y a du disparate et c’est moins orwellien. La débrouillardise ne se le fait pas dire deux fois de ce côté du monde : l’âpreté enseigne l’agilité. Elle n’est pas le monopole du lean management qui a démoli les systèmes hospitaliers en Whiteland (Occident). Il faut savoir shifter au gré des aléas et des opportunités. En régime d’incertitude, la lourdeur n’est guère de mise. Moyennant 500 francs CFA, j’ai eu le mien, en tissu bleu pétrole et les attaches roses, délicieusement kitsch. Il passe sans souci le test de la bougie, elle ne s’éteint pas lorsque je souffle à travers, la maille est serrée. Que veut le peuple ? Masque pour masque, tant que ça fonctionne. Lavable et réutilisable. Il n’y a pas plus idéal sous les cieux d’impécuniosité chronique. Il y a même un masque muni d’un zip afin de pouvoir boire. C’est pas créatif ça ?

Dans la galerie des masques se trouvent déjà celui en argile que les femmes mettent pour nettoyer le visage à fond les pores, celui du soudeur protégeant ses yeux des étincelles produites par la flamme du chalumeau, celui du pêcheur en eau profonde cherchant les gros poissons, celui du bal où nul ne sait qui est qui derrière tel loup et toutes les confusions sont autorisées, celui du rituel cosmique ancestral se déroulant by night et fauteur d’effets spéciaux. En marge de cette panoplie matérielle, il est un autre masque, sans autre support que le visage lui-même, c’est celui de l’hypocrisie vipérine dont le palmarès est prodigieux dans l’odyssée humaine sur Terre. Ces sourires qui savent si bien dissimuler la détestation pour parvenir à des fins en écrasant l’éthique la plus élémentaire. S’avancer masqué est un exercice de dédoublement dans lequel excellent certain(e)s d’entre nous qui n’ont pour horizon que l’atteinte des objectifs qu’ils/elles se sont assigné(e)s ou qu’ils/elles ont endossé en dociles mascottes de leurs géniteurs/génitrices. Savoir bien cacher son jeu est une recommandation partagée dans toute la société camerounaise.

On ne saurait bâtir une nation et se donner un destin dans l’Histoire sur une fondation aussi friable. Et ceci explique en grande partie cela, le bourbier sordide dans lequel se trouve rendu un pays que son potentiel en ressources naturelles, depuis les observations allemandes de la fin du 19ème siècle, projetait pourtant en perle-à-venir. L’officier allemand Curt von Morgen qui en fit un compte-rendu, le premier de cette teneur sur le territoire, après son voyage du sud au nord, fut ébloui. Il va falloir comprendre que l’intégrale de cette prédilection pour 360° à l’opacité, produit un vaste et puissant champ de freinage qui bride grave les énergies créatrices et les altère à la longue. Dans ce contexte où tout pourtant est/reste à faire, des initiatives solaires continuent néanmoins de se heurter avec violence, comme la mer sur des rochers, à la sous-culture de l’impossibilité qui règne dans l’appareil de l’État et ses multiples démembrements, voire le structure même. Cette Hydre de l’Herne qui ne dit pas son nom, attend l’usager et son dû à tous les étages de l’administration, avec ses mille têtes. Tchòkò (corruption) par-ci, tchòkò par-là devant des herses cyniques, la Mascarade inaugurée en 1958 a produit des rejetons qui font la pluie et le beau temps au détriment de l’essor du pays 237. Dirais-je alors hic et nunc que la « terre chérie » appartient encore trop à ceux qui surent s’avancer masqués ? Jusque quand en sera-t-il ainsi ? Le Fiasco n’est-il pas assez voyant ? N’est-il pas assez tangible comme ça ? La petitesse n’étouffe décidément pas cette engeance, sinon elle aurait déjà rendu son tablier et fait amende honorable…

La « petitesse » selon Leibnitz présente ces trois traits psychologiques : l’ignorance, l’arrogance et le refoulement collectif. En son époque de bouleversement total des connaissances, il indexait la Congrégation des Potes de la Vérité aka les philosophes enfermés dans alors les vieilles lunes et un solipsisme narcissique. La clique du Fiasco correspond trait pour trait à ce portrait au vitriol. Où cette petitesse serait-elle encore capable de mener le Cameroun ? Nulle part. Elle le sait, chacun le sait, tout le monde le sait. So what ?, comme dirait Miles Davis. De quoi tient cette minable et pathétique crispation sur sa faillite, aussi épouvantable que monumentale ? Et avant que d’aller où que ce soit d’ailleurs, il faudra déjà sortir du bourbier comme seul horizon d’espérance collective et l’imagination nécessaire lui manque à cette Noria 58. Plus l’audace devant l’Histoire de tourner le dos à la cruauté du capitalisme. Ce point est névralgique, or je ne sache pas que les opposants en traitent dans leurs programmes politiques. Pas même le bruyant Sofa Don Finish[1] (Social Democratic Front) de Ni John Fru Ndi. Tous sont calés sur la fréquence ôte-toi-de-là-que-je-m’y-mette. Point barre. Les masques sont tombés depuis belle lurette dans ce camp d’opportunistes attirés par l’opportunité de savourer le faste et l’apparat de la fonction présidentielle.

Faisant les frais depuis la pénétration arabe par le corridor du Sahara des logiques sans merci de la prédation, l’Afrique n’a donc pas à les reproduire pour construire son chemin. Les adeptes du Coran s’avancèrent masqués naguère, en mettant le saint Livre en avant pour échanger l’or de l’Ouest-africain contre son poids en sel, rien moins. Idem pour leurs rivaux du crucifix. La monothéisation fut une lobotomisation de masse. Ses caractéristiques locales participent du champ de freinage évoqué ci-devant. La Bible et le Coran servirent ainsi de masques aux envahisseurs venus de l’autre rive de la Méditerranée. Sans oublier la façade orientale du continent sur l’océan indien. Mettre Dieu en guise de rassurant masque pour s’introduire avec des intentions ignobles dans une communauté altricielle, façon loup affamé dans la bergerie, c’est un sommet de crapulerie. Les animaux ne versent pas dans ce subterfuge. Une lionne ne se masque point pour courser une gazelle dont elle veut faire son repas et celui de ses petits. Même amoindrie par une blessure sévère et dans cet état, elle est admirable de ténacité à chasser. Cette transparence/franchise du prédateur laisse totalement ouvertes les chances pour la proie de lui échapper. Rien à voir donc avec cette pseudo-implacabilité de la loi de la jungle, dont la brutalité se sert pour justifier ses exactions au sein de la société humaine.

Au prix où il est fourni par l’ENO, soit sous les 2 dollars du seuil de pauvreté défini à/par les critères de la Banque mondiale, pas un seul quidam au 237 ne devrait plus apparaître dans la rue sans masque. Or, il s’en trouve. Pas que deux pelés et trois tondus. Un paquet de gens déambule sans masque aka cache-nez pour quelques originaux. Dans certaines localités, cette imprécaution frôle le motif de lynchage. Nécessiteux ou individus déraisonnables qui se croient à l’abri derrière cette crânerie/bravade en mode même pas peur ? Blasé(e)s estimant n’avoir plus rien à perdre du tout, tellement il/elles ont déjà tout perdu dans leur chienne d’existence ? Ça peut être la procrastination aussi : je vais acheter demain et lorsque demain arrive, on reporte de nouveau à demain et ainsi de suite. Sanglés dans des protocoles et des habitudes, en Hexagone, les contribuables attendaient que l’État providentiel distribue des masques qu’il n’avait point en réserve. D’où l’option par défaut du confinement que les franchises subsahariennes ont suivi, même s’il reste semi.

Le 2 Avril dernier, des arrêtés pris par les gouverneurs des régions prohibaient la consommation on-the-spot dans les débits de boissons. Une affordance sociale ultra-sensible à l’aune mésologique. La supprimer parce que les Cassandre de tout bord du Nord prédisent le pire en Afrique avec un Everest en nombre de morts ?  Et puis machine arrière toute cette semaine. Les stations de la mise-en-bière nationale ont ré-ouvert. Comme quoi, la singerie aveugle de la ligne blanche a des limites objectives et politiques. L’accélération quant à elle se fait attendre…

[1] La souffrance est terminée en pidgin english. Ce fût un autre nom du SDF (Social Democratic Front) dans les années dites de braise en 1990.

Lionel Manga

Écrivain, critique d'art et chroniqueur. Douala, Cameroun

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