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QUINQUINA IN MY MIND

QUINQUINA IN MY MIND

Alors que la course à la production de chloroquine est lancée/relancée, s’il y avait une distinction mondiale décernée pour le gâchis, les occasions perdues, le Cameroun pourrait assurément y prétendre et vraisemblablement la remporter. Par une des ces ruses dont la raison et l’Histoire ont le secrets seules, un toubib empiriste s’étant accroché mordicus à la piste de cette substance fébrifuge à Marseille, l’incluant contre l’avis de ses collègues « méthodistes » dans un protocole pour soulager ses patients en détresse respiratoire, une séquence de l’Histoire refait surface. Les nuits lisses ont beau être une aubaine, elles n’en demeurent pas moins emmoustiquées. Ces charmantes bestioles ont développé une chimiorésistance et ce depuis le moment où Big Pharma a choisi pour des raisons de profit, d’abandonner la piste naturelle pour fabriquer un antipaludéen et de basculer dans des molécules de synthèse. Leur harcèlement gâche la quiétude induite par le givrage de la frénésie nocturne.

Il y eut à Dschang naguère, une Station dédiée au développement du quinquina.  J’ai vu cette Station inaugurée dans les années 30, encore en fonctionnement en 1964. Le Cameroun exportait encore la matière première pourvoyeuse du principe actif de la chloroquine. Les semences initiales furent importées de Java. Originaire des Andes péruviennes, ce sont les Jésuites qui ont fait connaître la médication rustique des Quechua contre les fièvres intermittentes au monde extérieur. Découvrant cela en fouinant, l’on est tenté alors de se dire et ça n’aurait rien de tiré par les cheveux, que ce savoir exotique n’est pas étranger à l’influence de l’ordre fondé par Ignace de Loyola. Sortir des plis de sa soutane une poudre efficace pour terrasser la fièvre des marais, aide à raffermir la foi des tièdes et à évincer la concurrence dans la faveur royale, précieuse ô combien. Qui en doutera ?

Avoir laissé tomber les équipements de la Station de quinquina à Dschang et ceux de son antenne à Bansoa, fait violemment montre de l’absence totale de vision qui caractérise la Noria 58, son sérail et la cohorte d’accumulateurs qu’elle a engendrés sur le dos des cacaoculteurs et des caféiculteurs depuis six décennies. Personne ne s’est dit dans ces sphères que pour préserver une autonomie dans la lutte contre le paludisme, classé grande endémie, il fallait impérativement développer une filière locale de chloroquine et en concertation peut-être avec les autres pays concernés par ce fléau ! Il y a de quoi se taper la tête contre les murs ! Les leurs étaient occupées à quoi donc pour avoir la vue aussi courte ? La mutualisation des enjeux et défis liés à la santé eût constitué un socle pragmatique pour le dépassement des frontières de Berlin et asseoir le panafricanisme. Les ressources financières absorbées par la répression auraient eu un meilleur usage. De quel budget dispose l’Institut d’études des Plantes Médicinales (I.M.P.M) pour mener à bien sa mission statutaire ?

Que voulait donc dire « Indépendance » pour ces fringants trentenaires des 60s ? Les hommes de la gentry se prenaient à peu près tous pour JFK et les femmes pour Brigitte Bardot, la sulfureuse blonde et boute-en-train de la Côte d’Azur. Les photographies de cette époque sont édifiantes et dorment dans des albums de famille. Ce petit monde de privilégiés avait la tête ailleurs. Pas au destin du Cameroun dans l’Histoire. Que savaient-ils de cette dernière d’ailleurs, hormis des dates apprises par cœur à l’école ? Hier encore indigènes marchant pieds nus pour certains et vadrouillant en grosse culotte courte cousue dans le rugueux kaki, car n’avait de chaussures qui voulait et je ne parle même pas de porter un pantalon, remplacer les Blancs aura suffi pour se dire « J’y suis ! », soit un titre de gloire, et regarder les autres du haut de cette surplombante position au monde.

La santé, c’est comme l’alimentation ou la sécurité, elle ne saurait dépendre d’un pays étranger et Whiteland (l’Occident) le (re)découvre à ses dépens. Ce sont des secteurs sensibles et en tant que tels ne sont formellement pas cessibles, sauf étourderie monumentale. Un savoureux adage africain énonce que dormir sur la natte des autres, c’est dormir dehors, ni plus ni moins. Difficile d’être plus concis et plus clair sur l’autonomie comme visée/perspective politique. Il n’y a pas de place pour deux sur une natte, objectivement. La nature ne nous offre aucun exemple d’un étant qui reposerait pour sa survie sur un autre, sauf dans le cas du parasitisme liant deux espèces dans une niche écologique. Aucun léopard ne va compter sur le véloce guépard pour sa ration de viande fraîche. La pression évolutive a, au fil des ères, pourvu chaque espèce d’aptitudes propres, dévolues à ses besoins organiques. Là où les animaux sont eux contraints par le programme du code génétique, nous est échu ce volumineux cerveau couplé à une déhiscence foncière. Une formidable singularité du vivant dont nous faisons pour l’heure un bien piètre et entropique usage, en cette civilisation capitaliste.

Personne ne sait dire aujourd’hui si le Covid-19 est seulement de passage dans le monde du calcul quantique et de « Balances ton porc ! » ou s’il va s’y installer dans une encoignure discrète au terme de cette première croisière hautement létale et resurgir ensuite par flambées épisodiques, sans nous faire un « Coucou les gens, me revoici pour des emplettes en vies humaines ! », sans préavis. Il vaut mieux donc anticiper et prendre les dispositions nécessaires dès à présent. En ligne avec cet adage qui dit qu’on ne nourrit pas sa poule le jour du marché. Comme quoi, anticiper n’est pas l’apanage des marchés et des Zinzins[1]. La réhabilitation toutes affaires cessantes de la Station de quinquina à Dschang et l’annexe de Bansoa, est donc une priorité des priorités au titre de la souveraineté nationale et du principe de précaution. L’État camerounais dispose-t-il même d’une marge de manœuvre financière lui permettant de procéder aux investissements ad-hoc ? Lorsque le cours du baril de pétrole brut dévisse et frôle des plus bas historiques, la réponse est non, à priori. Cela dit, il y va d’arbitrages délicats dans l’allocation pour dégager les ressources indispensables.

« Eux ça les tue, nous ça ne nous tue pas ! » entends-je fanfaronner un passant dans la rue. Grande n’en finit pas d’être la perplexité des observateurs devant cette persistante et improbable asymétrie. Il s’éloigne en déroulant un propos dont les bribes me parvenant renversent la suffisance de Whiteland au bas du piédestal où elle était perchée jusqu’à l’entrée en scène du Covid-19. Un ami qui ne manque pas d’humour considère que l’Afrique n’empilant pas de macchabées les uns sur les autres déçoit- c’est moi qui rajoute, le club des Cassandre. Tirerons-nous piteusement revanche sur le mépris au long cours de l’Occident et par défaut, du massif de morts qui s’empilent en Zone de Commodités ? Gardons-nous de reproduire aujourd’hui, demain, les travers ignobles des Faustiens auxquels cette fronce tend effectivement un miroir. Dans lequel il n’est pas interdit que nous nous regardions aussi, tant qu’à faire, puisque nous sommes embarqués sur le même tapis roulant depuis un demi millénaire, quoique sous des signes différents. Le Détriment « nous fait ça dur », selon une expression locale, au Sud et les hédonistes du Nord se dorent la pilule à Ibiza, haut lieu de farniente et de désinvolture. « Nous n’avons pas beaucoup de malades ici ! » m’a assuré une tendre amie italienne qui y vit depuis quelques années.

[1] Sobriquet des investisseurs institutionnels

Lionel Manga

Écrivain, critique d'art et chroniqueur. Douala, Cameroun

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