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Rester im(m)obile ou mourir à l’ère du Covid-19

Rester im(m)obile ou mourir à l’ère du Covid-19

De la province du Hubei en Chine dans laquelle il est apparu en fin d’année dernière, le  Covid-19 s’est rapidement propagé à l’ensemble du monde. Il a plongé celui-ci dans un état d’anxiété et de  panique inédites. Notre modernité globale jusqu’alors configurée par les circulations en a pris un coup. Le mouvement des hommes est désormais synonyme de circulation de la menace virologique. Les habitants de plusieurs provinces du monde sont devenus claustrophiles malgré eux. La distanciation prescrite comme mesure préventive se transforme peu à peu en distanciation entre univers humains et sociaux jadis entrelacés. Plusieurs milliards d’humains sont désormais confinés par peur d’être exposé au virus. Certains y sont par contrainte et d’autres volontairement. D’autres coincés dans une partie du monde cherchent désespérément à rejoindre leur demeure sans succès, peut-être dans l’espoir d’y mourir ou d’être épargné par la maladie. Or,  jamais dans l’histoire de notre modernité, circuler n’a été synonyme de mort. C’est bien là le sens de l’immobilité dont l’euphémisme est le confinement. Le Covid-19 change en effet le sens de la mobilité en lui donnant une signification funeste et c’est  une des premières grande question de cette crise. Comment rester immobile alors que l’on a toujours vécu par le mouvement ? Vivre par et dans le mouvement est un fait ontologique dans lequel puise le système capitaliste. Le rapport à l’autre est un mouvement vers lui. Faire communauté est également un mouvement vers l’autre. Comment rester humain sans cet effort vers l’autre que rend possible le mouvement vers lui ? On voit en effet dans le monde des mesures de confinement total ou partiel se multiplier sans toutefois que s’y plient de façon rigoureuse les populations. Être confiné revêt en effet des significations variées en fonction des spatialités. Dans des pays comme l’Inde, le Nigeria, le Cameroun, la RDC et bien d’autres, la survie s’invente au jour le jour. Confiner une masse débrouillarde apparaît comme un défi supplémentaire pour des systèmes fonctionnant dans et par l’informel. 

Nous y passerons tous !

On a en effet, au début de cette crise sanitaire, regardé ou écouté, sans empathie, à travers les médias, la détresse des autres. Les informations sur le nombre de morts qui provenaient de la province de Hubei en Chine n’ont suscité que très peu de compassion à l’égard de la société la plus pléthorique du monde. Or, c’est bien dans cette société que se jouait en décembre 2019 la survie du monde capitaliste. La Chine est en effet, le centre de ce monde à travers sa main d’œuvre. Elle produit sur son sol la majorité des gadgets et biens de consommation dont nos sociétés raffolent. Plusieurs entreprises occidentales y ont délocalisé  leurs usines. Traiter le Covid-19 de « virus chinois » fut une chose irresponsable de la part de certains dirigeants occidentaux. On pouvait voir dans cette réaction une forme d’orientalisme, synonyme d’un racisme décomplexé malheureusement en vogue dans le monde, y compris en Afrique où, la mise en scène d’un chinois mal en point dans une rue bondé de monde pouvait provoquer à la fois répulsion et hilarité. Cet humour « noir » qui assigne à des individus et à leur race une maladie ou une tare congénitale aura été dans la crise sanitaire qui secoue le monde une des facettes permanente du néolibéralisme dans sa dimension raciale. Cette attitude aura contribué à ne pas saisir de façon réelle les conséquences d’un drame qui s’avèrera mondial.

Les Chinois ont partiellement triomphé de cette pandémie non pas parce qu’ils étaient préparés à y faire face mais, parce que leur système politique et social était à bien des égards producteur de discipline. On peut en effet y voir non pas une vertu de régimes autoritaires, mais bien le fruit d’une adéquation entre la domestication du capitalisme et les cultures locales qui font de l’honneur et de la discipline des valeurs partagés. Les morts chinois en décembre dernier, ceux  italiens, espagnols, français, américains en ce moment, nous interpelle sur notre avenir commun face à l’épidémie et à la nécessité de repenser la solidarité mondiale face à des catastrophes de ce genre qui, dans les décennies à venir seront récurrentes. Ces pays nous parlent à partir de notre futur, comme le note l’écrivaine italienne Francesca Melandri dans une dans une lettre pleine de lyrisme. ils nous parlent de nos prochains morts, de notre détresse prochaine, de notre impuissance future face à la croissance des cas de Covid-19, de la panique des populations de nos pays pour le moment encore épargnés par cette hécatombe humaine ; du moins dans les mêmes proportions. Le Covid-19 annonce la mort de l’Etat dans certaines parties du monde. Où précisément celui-ci n’a jamais protégé les faibles contre l’arbitraire des forts. Dans des lieux où l’inégalité des conditions fonde les systèmes de gouvernance. La crise sanitaire actuelle augure des émeutes sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Des instabilités sociales dont l’enjeu sera le gain de la vie face à la pénurie de nourriture, de masques, de respirateurs, de chloroquine, etc.

Repenser notre communauté mondiale

Le monde actuel a été construit sur des clivages idéologiques qui ont donné naissance à des univers dits antinomiques. Dans ce « monde meilleur » qu’on pensait inaugurer après la fin de la guerre froide, les maux les plus vils n’ont jamais été aussi nombreux. Les discours sur les inégalités dans le monde, sur la faim,  les conflits n’ont jamais été aussi moqués. Ils ont constitué depuis plusieurs décennies des slogans creux et vides. L’épidémie actuelle nous donne la chance d’arpenter de nouveau les chemins de l’humanité et de faire de nouveau communauté mondiale. Les actions de la Chine et Cuba sont en effet, des chemins tracés vers cette nouvelle solidarité mondiale. Si beaucoup d’observateurs y voient un signe de positionnement géopolitique, alors ce ne serait qu’un moindre mal devant la détresse humaine qui se donne à voir dans les pays d’Europe occidentale comme l’Italie, l’Espagne, la France, le Royaume Uni, etc. Il est préférable en effet de sauver réellement des vies menacées par la maladie, que de précipiter la mort des humains en mettant une arme dans les mains de leur bourreau. Ces pays gravement touchés par l’épidémie parlent au monde en espérant que cette leçon permettra de mettre sur pied un fond mondial de solidarité pour la lutte contre les épidémies, la faim et les catastrophes naturelles.  

Dieu ne nous sauvera pas tous

Les frontières d’États sont désormais étanches ; nulle part dans ce monde on n’est désormais en sécurité. Les systèmes médicaux les plus performants sont éprouvés. Devant la pléthore de malades, on cède au découragement et au désespoir ; la mort est partout. Elle est à l’hôpital, au travail, dans la rue, dans les transports en commun, sur toutes les surfaces, elle est même en des personnes sympathiques et familières, etc. Les adeptes des religions révélées voient en ces temps maussades des signes de l’apocalypse et du jugement dernier. D’ailleurs, avant que ne s’abatte la maladie sur leur continent, beaucoup d’Africains ont vu en Rome, un des épicentres de la pandémie, le symbole du péché et de la colère divine. Péchant moins que les autres et bénéficiant de rayonnements solaires plus forts, Dieu les auraient ainsi  épargnés de la maladie. Hélas ! Que de chimères ! Aujourd’hui en prière, ils se préparent à être enlevés. D’autres plus incrédules croient au pardon divin et à l’avènement d’un miracle, d’une solution ad libitum qui viendrait arrêter cette saignée humaine. Mais, comme le dit le philosophe Camerounais Ebenezer Njoh Mouelle dans son ouvrage intitulé De la médiocrité à l’excellence, « A quoi sert-il de danser, louer, célébrer Dieu, comportements considérés comme hautement spirituels si cela doit nous conduire à l’abandon de nous-même à l’irrationnel ». Devant la supposée défaite de la science,  ont ainsi fleuri des explications divines dans les milieux religieux et des thèses conspirationnistes dans les sphères laïques et profanes. Selon une forme d’insouciance ou d’invulnérabilité divine, beaucoup de chrétiens et de musulmans, notamment dans certains pays africains, continuent malgré les consignes strictes à aller à la mosquée et à l’église, à avoir les mêmes habitudes de mobilité, de consommation, de vie et par là, ils contribuent à propager le virus. Comme en Europe, les rassemblements lors d’événements festifs ont exposé plusieurs citoyens à la maladie.

 En ces temps incertains, il y a malheureusement dans cette détresse collective, ceux qui payeront le plus lourd tribut. Pour les gagnes-pain quotidien, les forces de sécurité, le personnel médical, les caissiers de banques ou de magasins, les éboueurs, les boulangers, ces ouvriers de la mondialisation, c’est doublement une mauvaise nouvelle. Ces personnes seront contraintes de travailler au péril de leur vie, parfois sans protection. Certaines, ayant un rôle crucial mais des salaires de catéchistes, seront plus exposées que leurs concitoyens. On peut malheureusement s’attendre à ce que le tribut par elles payé soit des plus lourds.

Halte à l’anthropocène !

La seule bonne nouvelle en ces temps sombres pour l’humain est paradoxalement le repos du monde animal, végétal et minéral. La nature souffle un peu plus, du fait d’une trêve inattendue qui freine ou reporte sa destruction. Elle reprend ses droits sur des espaces ultra-humanisés. Les oiseaux chantent où ils avaient perdu de la voix du fait d’une polyphonie automobile. Les industries polluantes sont pour la plupart à l’arrêt ou ont simplement diminué leur production de gaz à effet de serre du fait de la compression des effectifs dans les usines pour éviter de nouvelles contaminations. Le mot d’ordre est désormais au confinement. Si les conséquences de cette menace sanitaire s’esquissent de façon progressive, il est certain qu’elles seront néfastes pour le monde entier. Il entrera de nouveau dans une période de récession. Plusieurs pays réfléchissent déjà à des plans de relance, question d’anticiper le pire. D’autres par contre mettent en place des plans de riposte variables selon la taille de leur économie. D’autres, par contre, brillent par un attentisme déconcertant. C’est le cas des pays africains dont certains tardent à mettre en branle un plan énergique capable de leur permettre de supporter les conséquences de la pandémie.

Une autre leçon de cette pandémie est que la décision stratégique ne peut être remise à demain. Il faut décider maintenant car, le temps perdu se compte en centaines, voire en milliers de morts. Le Covid-19 bouscule ainsi nos conceptions du temps et de l’urgence. Le présent ou mieux le présentisme selon une expression emprunté à François Hartog s’impose comme horizon indépassable. La pandémie désacralise les systèmes et les institutions politiques. Elle met  à nu leur vulnérabilité en même temps que celle  des hommes et des femmes qui les incarnent. Nul n’est protégé par sa furie. L’espérance de vie, symbole des progrès de la médecine devient en effet le talon d’Achille des États les mieux lotis. Les continents jeunes subiront moins les chocs de la pandémie si cette tendance est constante. Mais, ceux-ci payeront à coup sûr  la fragilité de leurs économies et leurs inégalités sociales.

Les choix politiques seront critiqués et le peuple voulant sauver ce qu’il reste de l’espoir de vivre descendra dans la rue. Mais, malheureusement, il sera happé par la faucheuse invisible. Ce qu’il y’a de nouveau dans cette tragédie mondiale, c’est que le monde vivra pour la première fois un temps partagé. Celui de la douleur, de la peur de la mort, de la vulnérabilité et de la fragilité de la vie car, pour la première fois, le présent renseignera sur l’avenir. Les pays comme l’Italie, la Chine, l’Espagne sont des témoins de l’avenir des pays pas encore touchés par la crise. Ces images de morts renseignent sur un sort commun mais en différé. En attendant la lueur d’espoir hypothétique qui pointe à l’horizon, faisons du confinement un facteur moins aggravant pour notre santé déjà fragile en ne prenant pas beaucoup de poids, en ne s’alimentant pas mal si on peut le faire bien sûr, en se lavant les mains si d’aventure l’eau ne venait pas à manquer, pour qu’à notre tour, nous ne soyons pas des victimes commis d’office du Covid-19.  

Érick Sourna Loumtouang

Historien et chargé de recherche au Centre National de l'Éducation (MINRESI, Cameroun) - Senior Researcher, The Muntu Institute

Commentaire : 1

  1. Sourna Frédéric dit :

    Très beaux texte, les recommandations sont certes difficiles à mettre en place mais il le faut car le devenir des êtres humains en dépend. Toutefois, le confinement à lui seul n’est pas suffisant, car malgré cet état d’immobilité, une pletore d’agence inter-urbain enregistrent de jour en jour des passagers en provenance d’endroit divers. La question qu’on se pose est de savoir, d’où viennes ces passagers ? Sont ils infectés ? Y’a t’il une équipe chargé d’effectuer des dépistages sur ces derniers ? Juste pour dire que chaque État devrait mettre en place des équipes de dépistage dans chaque agence de voyage, sur chaque point de contrôle afin de limiter la propagation de ce virus.

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