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Victime du masque !

Victime du masque !

Je me rends compte que le port du masque est diversement apprécié. On se sent mise au banc des accusé(e)s juste parce qu’on a un masque. Contre quoi ? Contre qui ? En vertu de quoi ? Pour montrer ou démontrer quoi ? Voilà quelques-unes des questions que des regards inquisiteurs semblent nous adresser… Dans ma rue, lorsque tu portes un masque, tu es l’objet d’un débat entre ceux qui en portent et ceux qui n’en portent pas. Tu es l’amuseur public de ceux qui se disent invincibles face au virus. Ils se demandent si ton masque est destiné à couvrir ton menton parce que tu l’as descendu à ce niveau. Mais, aucun de ceux qui s’expriment ainsi n’ont un autre masque et une autre méthode pour te démontrer le port adéquat. Qu’as-tu fait pour mériter cela ? La pandémie nous concerne pourtant tous et toutes. Seulement, il faut avouer que le degré de considération et de conscience de la part de la population varie d’un individu à un autre. D’où l’effet de surprise constant dans les regards.

Sonia a fait cette analyse comme moi, il y a quelques jours. En vivant sa propre expérience dans cette boutique du coin au quartier Biyem-Assi Lac. Elle y allait presque chaque début d’après-midi, comme moi, pour acheter des produits de première nécessité afin de préparer la journée suivante. Arborant son masque, elle a été dévisagée, scrutée avec curiosité, par la clientèle du bar à laquelle on ne peut échapper. Celle-ci nous donne le sentiment d’être sur la scène, sous les feux des projecteurs. Arrivée à hauteur du comptoir, elle a passé sa commande. Le masque qui recouvrait sa bouche rendant sa voix grave et ses propos presque inaudibles, un jeune homme, assis à une table proche du comptoir a lancé à son endroit : « Mais enlève ton masque-là tu parles noonn ! Tu crois qu’on va t’entendre comment ? ». Sa surprise était totale. Pendant qu’elle le regardait fixement, il a poursuivi : « L’affaire-ci est même déjà devenue quoi que les gens portent les masques !?» Son voisin, un quinquagénaire assis en face de lui, prenant part à ses réprimandes agressives a, lui aussi, déploré : « Je sais que quoi mon fils ? On cherche même, c’est par le masque-là qu’on va attraper la maladie là dit donc ». Sur quoi a renchéri le jeune, agité et visiblement ivre : « Ah ! Ce sont les riches qui vont acheter les masques-là mon père, nous les pauvres on ne connait pas ça, mais il ne va rien nous arriver. Tu as vu comme on est assis là depuis on boit qui est mort ? Qui a ça ici ? ». Sonia a dû ressentir comme une délivrance d’être enfin servie par la tenancière de la boutique. Puisqu’en sortant, je l’ai entendue marmonner : « Vraiment, ce pays c’est l’enfer ! »

Pensez-vous qu’une fois sortie de la boutique, les remarques désobligeantes ont cessé ? Les femmes présentes sur les lieux n’ont pas hésité à répandre leur fiel. Et à la regarder de manière dédaigneuse. L’une d’elles, vêtue d’un kaba (sorte de longue robe) affirmant même : « Le masque-ci-là ne laisse personne hein, que ceux qui ont l’argent achètent seulement… ». Avant qu’une autre ne réagisse : « Tu achètes jusqu’à tu portes même tu vas dire que tu portes quoi ? N’est-ce pas j’ai appris que les Blancs veulent mettre la maladie sur ça ? » L’échange aurait pu s’arrêter là. C’était sans compter sur l’incrédulité et l’agacement de ceux et de celles qui voient le port du masque comme une hérésie ! Les femmes, jusque-là peu loquaces, se sont littéralement déchaînées :  

  • « Les gens aiment trop se montrer ici dehors, je te dis. Tu pars prendre un truc comme ça tu portes tu ne sais même pas ce que tu portes. Après ta part vient que sur ça. »

 « Ils sont riches on va faire comment ? »

  • « Mieux tu bois tes potions ici. Tu restes tranquille ! »
  • « C’est peut-être ça qui va nous sauver vraiment » regardant la fille s’éloigner progressivement.

Résolument, se conformer aux mesures de sécurité et de prévention par ces temps de Covid-19 entraîne des désagréments inattendus…

 

 

Marielle Abate

Étudiante, Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication (Université de Yaoundé II-Soa, ESSTIC)

Commentaire : 1

  1. M.S. dit :

    Merveille du langage parlant dans un bar camerounais.. splendeur de la mise en langue écrite.. les beaux livres s écrivent dans une sorte de langue étrangère (gilles deleuze / critique et clinique,ed minuit)

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