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Saint Raoult, prophète franco-africain

Saint Raoult, prophète franco-africain

« Le monde covidien sera sauvé par l’hydroxychloroquine », tel est le message subliminal que veut nous transmettre l’infectiologue de Marseille. Sans vouloir m’insérer en aucune manière dans la controverse actuelle autour de l’efficacité préventive ou curative réelle ou supposée de ce médicament pour le traitement du Covid-19, n’en ayant absolument pas la compétence, ce qui m’intéresse ici c’est l’efficacité symbolique du couple Raoult-hydroxychloroquine dans tous ses aspects, et notamment dans un cadre colonial et postcolonial franco-africain.

Afin d’examiner de quoi il retourne, il me faut effectuer un bref retour en arrière et examiner en premier lieu la biographie de l’intéressé en lien avec celle de ce médicament.

Métamorphoses du Dakar colonial

Sur Wikipédia, la biographie hagiographique de celui qui est devenu en quelques semaines une star médiatique indique tout d’abord sa naissance à Dakar en 1952 et son attachement au Sénégal et à l’Afrique, pays et continent avec lesquels il n’a cessé de nouer des relations scientifiques et institutionnelles étroites.

Fils d’un médecin militaire, fondateur de l’Organisme de recherches sur l’alimentation et la nutrition africaine (Orana) et petit fils d’un infectiologue, Didier Raoult, bien qu’étant un héritier, ne poursuit pas un cursus scolaire et universitaire rectiligne. Sa famille s’étant installée à Marseille en 1961, il effectue sa scolarité dans un lycée de Nice puis dans un internat à Briançon. Il interrompt ensuite ses études pendant deux ans période au cours de laquelle il navigue sur des paquebots et des navires de la marine marchande, puis reprend ses études à la Faculté de médecine de Marseille où il réussit l’internat, obtient un doctorat et devient infectiologue comme son grand-père.

Ce parcours situe Didier Raoult au sein d’un triangle symbolique à trois pointes constitué par Dakar, Marseille où il va devenir célèbre et l’hydroxychloroquine.

Dakar, son lieu de naissance et où il a passé son enfance, est l’endroit à partir duquel il établit sa tête de pont et constitue son réseau de clientèle africain. C’est à Dakar que D. Raoult « aurait attrapé le virus de la recherche » et c’est en face de l’Institut Pasteur de cette ville qu’il fait ses premiers pas[1]. Comme il le déclare lui-même, dans une inspiration typiquement coloniale, il ne peut pas, étant Français de naissance mais Sénégalais de cœur, ne pas se sentir concerné par ce qui se passe en Afrique. Il réunit ainsi autour de lui toute une équipe de chercheurs, tant épidémiologistes, que virologues ou bactériologues ; des Sénégalais, un Congolais, un Algérien et un Marocain. Tous ces disciples le considèrent comme un « grand frère africain » et donnent à sa stature une légitimité franco-africaine qui fait beaucoup pour sa réputation. Mais celle-ci ne se limite pas à l’Afrique de l’ouest soudano-sahélienne. Elle s’étend également à l’Afrique tropicale. Il est décrit comme un « éléphant qui aime aller au contact des gorilles ». On le voit également sur une photo, accompagné par ses guides et paré pour une expédition au cœur de la zone forestière du Congo-Brazzaville à la poursuite des grands singes.

Dans cette région, en recueillant des selles de gorilles et de chimpanzés et en les comparant avec des selles humaines, lui et son équipe, étudient le franchissement de la barrière d’espèces et enjambent ainsi l’opposition entre nature et culture. En cela, il renoue avec des recherches précédemment entreprises sur le VIH et qui sont orientées vers la traque d’une sorte de patient-zéro animal, dans une symbolique omniprésente dans cette région de l’Afrique où les sociétés animales mais aussi les sociétés humaines – les Pygmées – ont été considérées comme étant à l’origine de l’humanité (Paul Schebesta).

Ce primitivisme biologique à connotation coloniale – sans doute légitime sur le plan scientifique – se retrouve dans sa carrière proprement métropolitaine et explique sans doute en partie ses derniers choix politiques.

Marseille, port défunt de l’empire colonial

Marseille, le grand port de l’empire colonial français, est devenue un pôle majeur d’immigration dans les années qui ont suivi les indépendances de nombre d’anciennes colonies françaises. L’installation de notre infectiologue dans cette ville à travers l’IHU-Méditerranée Infection qu’il dirige, apparaît en quelque sorte comme un prolongement dans le temps de la domination scientifique que la France continue d’exercer en Afrique de l’ouest et centrale francophone.

Mais Marseille occupe également une place singulière dans l’espace politique et symbolique français dans la mesure où elle se définit largement comme l’antithèse de Paris, l’affrontement entre les équipes de football de l’OM et du PSG étant à cet égard emblématique. De ce point de vue, il n’est pas douteux que l’hostilité que suscite D. Raoult est largement due au fait qu’il est perçu comme un mandarin de province par opposition à ses confrères parisiens qui siègent au sein des Comités scientifiques promus par le pouvoir.

Cette image de mandarin de province est encore accrue par des positions iconoclastes dans des domaines qui ne touchent pas à sa spécialité comme le climat ainsi que les liens qu’il entretient avec des barons politiques du sud de la France.

Cet ancrage politique provincial et méditerranéen n’a pas peu fait pour sa popularité à Marseille et dans toute la région Paca, popularité accrue il est vrai par le faible taux de contamination au Covid-19 que cette région a connue.

Rejeté par l’establishment médical parisien, même si le pouvoir a tenté de le récupérer, il est devenu en quelque sorte un modèle de médecin populiste en procédant à de larges tests au sein de la population marseillaise et en soignant à bas prix, grâce à l’hydroxychloroquine, une partie des habitants de cette ville. Cette image de « petit » se dressant contre les « gros » l’a conduit logiquement à tomber dans les bras de la fraction dominée du monde intellectuel et politique, telle qu’elle est représentée par le Front populaire, mouvement politique récemment créé par Michel Onfray. D. Raoult se situe ainsi au sein d’une mouvance souverainiste et « franchouillarde » opposée aux intérêts du « Big Pharma » et de certains de leurs représentants au sein du pouvoir.

L’hydroxychloroquine : un médicament postcolonial

L’hydroxychloroquine est un vieux médicament colonial dont l’usage s’est poursuivi après les indépendances d’Afrique pour prévenir l’apparition de crises de paludisme ou pour les soigner lorsqu’elles survenaient. J’ai pris moi-même de la Nivaquine pendant plusieurs années au Mali à la fin des années 1960 et j’ai même reçu une injection de Quinimax à la suite d’un grave accès de paludisme. Il s’agit donc d’un médicament connu qui a ensuite été remplacé par d’autres antipaludéens comme la Malarone en raison d’effet délétères à long terme. Je ne me prononcerai pas sur l’efficacité thérapeutique de ce médicament dont l’usage est contesté s’agissant du traitement du Covid-19.

Ce qui a permis à D. Raoult de « lancer » ce produit sur le marché médical, c’est son coût modique et les faibles inconvénients qu’occasionnait sa prise pendant une courte durée en étant associé avec un antibiotique, l’azythromycine.

La légitimité de la démarche thérapeutique de D. Raoult a été contestée en raison du nombre restreint de patients ayant pris cette molécule et du non-respect du « protocole », c’est-à-dire d’une expérimentation « scientifique » randomisée en double aveugle, etc. Sans parler de son adhésion au « postmodernisme » et aux idées de Paul Feyerabend qui bien que connues lui ont aliéné certains chercheurs[2]. D. Raoult prétend pour sa part, que sa méthode a été plébiscitée par les patients et que de tout façon, en période de pandémie, il est indispensable d’agir dans l’urgence et donc impossible de suivre le fameux protocole. A sa décharge, on ne peut pas dire que les essais scientifiques comme « Discovery », entrepris sur l’hydroxychloroquine ainsi que sur d’autres molécules, soient plus convaincants de sorte que l’infectiologue marseillais peut légitimement apparaître comme victime du principe « deux poids-deux mesures ». En effet, la validation de molécules produites par de grands laboratoires peut être faite sur la seule base de leur « non infériorité » et il leur suffit donc de montrer que l’effet d’un médicament coûteux sous brevet n’est pas inférieur au traitement standard pour qu’il soit autorisé.

Si D. Raoult a donc pu être accusé d’être un « charlatan » ou un « prophète » et non un scientifique, on peut retourner le compliment aux gros laboratoires et à ceux qui les défendent, dans la mesure où ces derniers apparaissent comme étant au service d’un pouvoir qui prétend gouverner au nom de la science, alors que l’on pourrait tout aussi bien postuler l’inverse.

La science au service du pouvoir versus celle au service du peuple, telle pourrait bien être l’équation au sein de laquelle s’inscrit l’entreprise prophétique de D. Raoult. Et c’est en cela que son parcours peut être comparé, nolens volens, aux prophètes africains prescripteurs de médicaments de leur confection. Eux-aussi, prétendent soigner le peuple avec des médicaments peu coûteux recourant aux plantes médicinales et sans avoir effectué les expérimentations nécessaires à l’obtention de la reconnaissance des instances scientifiques internationales. Il en va ainsi du Covid-Organics promue par le président malgache Andry Raojelina, de la Fagaricine gabonaise ou du remède de Monseigneur Kleda, archevêque de Douala au Cameroun. Toutes ces substances apparaissent comme étant des molécules « contre-hégémoniques » dirigées contre les grands laboratoires occidentaux et contre des organismes de recherche coloniaux comme l’Institut Pasteur de Madagascar accusé d’avoir surestimé le nombre de patients atteints de Covid-19. A l’instar de l’hydroxychloroquine, vieux médicament peu coûteux, elles apparaissent comme faisant partie d’une même médecine populaire ou plutôt d’une médecine au service du peuple, des peuples, et à ce titre D. Raoult, de même que tous les autres « prophètes médicaux » peuvent être présentés ou se présenter eux-mêmes comme des bienfaiteurs de l’humanité, en particulier de celle qui est la plus démunie et qui peuple les continents sud-américain et africain.

[1]https://www.jeuneafrique.com/923934/societe/didier-raoult-lafricain-sur-la-piste-de-la-chloroquine-de-dakar-a-brazzaville/
[2] https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/la-querelle-raoult-serie-pandemie-et-post-modernisme/

Jean-Loup Amselle

Anthropologue et Directeur d’études émérite à l’EHESS, Jean-Loup Amselle est auteur, entre autres de : - Au coeur de l'ethnie, Ethnies, tribalisme et Etat en Afrique, Paris, La découverte, 2009 (1985). - (éd.) avec E. M'Bokolo, - Logiques métisses, Anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 2010 (1990). - en coll. avec Souleymane Bachir Diagne, En quête d’Afrique(s). Universalisme et pensée décoloniale, Albin Michel, 2018.

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